Septembre. Partout ailleurs, c'est ce moment où des milliers d’enfants, vêtus de leurs plus beaux habits, se dirigent d’un pas incertain vers les portes de l’école, cette grande aventure où s’épanouit leur esprit et leur avenir. À Ghaza, pourtant, ce même mois s’ouvre sur un silence oppressant. Dans cette bande de terre encerclée, les portes des écoles restent fermées. 45 000 enfants de six ans, à l’aube de leur éducation, se retrouvent privés de leur premier jour de classe, et avec lui, d’un droit fondamental.
Il est facile de parler des chiffres, de les égrener comme des notes sur un bulletin désespéré : 625 000 enfants palestiniens qui n’ont pas eu d’école depuis un an. 84 % des établissements scolaires endommagés ou détruits à Ghaza. Des milliers de familles déplacées, désorientées, piégées dans une guerre qui n’en finit plus de broyer leur quotidien. Mais derrière ces chiffres, il y a des visages, des regards qui cherchent en vain une lueur d’espoir. L’école, pour ces enfants, n’est pas simplement un lieu d’instruction. Elle est, dans un univers ravagé, un refuge, un espace où ils peuvent, un instant, oublier la brutalité de leur réalité, une fenêtre ouverte sur un ailleurs plus juste, plus humain. À quoi rêvent ces enfants, si tant est qu’ils rêvent encore ? Pour eux, les murs d’une salle de classe ne se dresseront pas cette année. À la place, ce sont les murs effondrés des immeubles détruits qui se dressent comme les témoins muets de leurs existences fragmentées. L’école, c’est ce lien vital qui les connecte à la possibilité d’un futur différent, un futur qui échappe à l’ombre omniprésente des conflits. La privation de ce droit est bien plus qu’une simple absence matérielle : c’est une violence symbolique qui les dépossède de leur potentiel, qui les réduit à être spectateurs d’un monde en ruine.
À Ghaza, l'enfance se fane prématurément. La guerre, implacable, ne laisse aucun répit. Les rêves d’avenir se heurtent aux balles, aux éclats d’obus, aux débris d’un pays qui vacille. Ces enfants ne connaissent pas le calme d’une rentrée scolaire rythmée par la cloche et les récréations. Ils connaissent l’attente, l’incertitude, l’enfermement. Ils connaissent surtout l’absence : l’absence de sécurité, l’absence de stabilité, l’absence de cette chance que l’éducation leur aurait offerte.
La situation en Cisjordanie ne vaut guère mieux. Même là où les écoles restent debout, la violence, les restrictions, et la peur empêchent l’éducation de s’épanouir. Quand chaque déplacement peut être une épreuve, quand chaque jour peut être marqué par une nouvelle fermeture, comment ces enfants peuvent-ils apprendre, se construire, imaginer leur avenir ? Le poids de la guerre écrase leurs esprits avant même que la moindre graine de savoir ait pu germer.
Face à cette tragédie, une question reste suspendue : que reste-t-il à offrir à cette génération de Ghaza, sinon des ruines et du désespoir ? Comment, dans un tel contexte, envisager la possibilité d’un futur qui ne soit pas façonné par la colère et la perte ? Dans ces moments de fracture, où l’humanité semble vaciller, il nous incombe de redonner à ces enfants ce qu’on leur a arraché. Car sans éducation, c’est tout un peuple qui s’éteint à petit feu, un peuple dont l’avenir se dilue dans la poussière de ses écoles détruites.
Les tentatives d’organisations comme l’UNICEF, avec leurs espaces temporaires d’apprentissage, sont des respirations précieuses, des oasis dans un désert de désolation. Mais elles ne suffisent pas. Que vaut un kit scolaire quand la peur imprègne chaque instant ? Que valent quelques heures d’instruction quand chaque trajet vers l’école peut être synonyme de danger ? Ce qu’il faut à ces enfants, c’est bien plus qu’une simple pause dans la violence : c’est la certitude qu’ils pourront un jour franchir les portes d’une école reconstruite, en paix.
Les enfants de Ghaza sont privés de leur avenir, et nous, spectateurs du monde, risquons de perdre quelque chose de plus grand encore : notre humanité. Si nous ne sommes pas capables de défendre leur droit à l’éducation, à quoi bon prétendre vouloir un avenir de paix ? Ces enfants n’ont pas simplement besoin de manuels scolaires ou de cahiers, ils ont besoin de la certitude que leurs vies comptent. Ils ont besoin de savoir qu’au-delà des murs de béton qui les entourent, il existe un monde où leur voix, leur avenir, peuvent encore avoir un sens.
*Article paru dans le n°35 de notre magazine Iqra
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