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Notre mosquée (n°33) - Chems-eddine Hafiz rend hommage à sa mère dans l’ombre des héroïnes de l’Islam [rétrospective 2025]


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Paru le 16 avril 2025


À la salle de conférences « Emir Abdelkader » de la Grande Mosquée de Paris, le « Mercredi du Savoir » du 9 avril 2025, a commencé dès dix-huit heures, attirant une foule impatiente. Plus de 200 participants avaient réservé leurs places, prêts à découvrir un événement particulier.


Cette fois, ce n'était pas un simple discours d'ouverture ou de bienvenue que l'on attendait, mais bien un moment de partage autour du recteur de la mosquée, M. Chems-eddine Hafiz. Il était au centre de cette édition, car l'occasion était donnée de présenter son dernier ouvrage, un livre dédié à la femme musulmane et à son rôle fondamental dans la société. Ce « Mercredi du Savoir » a permis un échange avec le public, suivi d'une séance de dédicaces, offrant ainsi aux lecteurs l'opportunité de rencontrer l'auteur « des héroïnes de l’Islam ».


Accompagné de la journaliste Zohra Ben Miloud, modératrice de la rencontre, il entre dans la salle, ses pas mesurés résonnant dans le silence, vêtu d’un costume bleu marine et d’une cravate assortie, exhalant un air de sérénité et d’espoir. Le bleu, symbole de tranquillité et de profondeur, semblait en effet illustrer la stabilité émotionnelle. Une fois installé, une légère tension s’installe sur son visage. N’était-ce pas cet homme que l’on avait l’habitude de voir captiver son auditoire avec des discours aussi variés que les activités de cette même salle ?  Mais ce soir-là, le cadre était différent. Il s'apprêtait à s’adresser à un public hétérogène, aussi bien par le genre que par les convictions, pour évoquer la femme. Toutefois, il ne s’agissait pas de parler de la femme en général, mais plus précisément de la femme musulmane, souvent perçue comme une victime, un être vulnérable qu’il conviendrait sans cesse de défendre et de protéger.


Ce soir-là, avant même d’aborder son ouvrage, il a ouvert une parenthèse empreinte d’émotion. Il a choisi de parler des femmes, non pas dans l’abstraction d’un discours théorique, mais à travers la chair vive de son histoire personnelle. Il a évoqué l’instict maternelle, cet instinct profond, cette force mystérieuse qui donne la vie et veille sans relâche, citant l’exemple de Hajer, épouse du prophète Abraham et mère d’Ismaël (paix sur eux), comme symbole de cette abnégation silencieuse. Puis, avec une grande sensibilité, il a parlé de sa propre mère, disparue, mais toujours présente dans chacun de ses gestes de tendresse, dans chaque mot qu’il prononce. Il a salué son courage inébranlable durant la guerre d’Algérie, lorsqu’elle n’a jamais cessé de les protéger, de les accompagner à l’école, de veiller à préserver leur dignité.


« Là où elle est, elle doit être fière de moi. Elle me fait un clin d’œil. On a toujours été en dehors du bus, elle et moi… Comme le disait le gendre d’un ami : ‘Pour réussir, il faut rester en dehors du bus.’ Autrement dit, ne pas suivre le troupeau. ». Il a parlé de leur complicité enracinée dans l’enfance, et de l’affection  sincère qu’il porte aujourd’hui à ses petites-filles, présentes dans la salle ce soir-là , comme une manière vivante de prolonger cette mémoire féminine.


Ce n’est ni en tant que recteur ni en tant qu’avocat qu’il a pris la parole ce soir-là, mais en tant qu’homme profondément touché, indigné par les injustices faites aux femmes. Il ne supporte pas qu’on les réduise à des êtres soumis, inférieurs ou invisibles. À travers ses paroles, tout comme dans son ouvrage, il rend hommage à toutes celles qui, dans l’histoire de l’islam, ont joué un rôle déterminant. Il a notamment évoqué Khadîdja, l’épouse du Prophète (paix et bénédictions sur lui), qu’il admire tout particulièrement, a-t-il précisé, pour sa sagesse et son engagement. Chems-eddine Hafiz a confié avoir eu un véritable coup de cœur qui l’a poussé à écrire sur ces femmes : épouses de prophètes, médecins, artistes, avocates, écrivaines… Des femmes musulmanes trop souvent reléguées à l’oubli, mais dont les parcours continuent de résonner avec force jusqu’à aujourd’hui.


Le débat, animé par Mme Ben Miloud, l’a conduit à aborder un sujet sensible, celui de l’usurpation et des approximations dans la traduction du Noble Coran de l’arabe vers le français. Il a illustré son propos par le verbe « ضرب » (dharaba), souvent traduit par « frapper », une interprétation qu’il juge réductrice, voire infidèle à la richesse sémantique de la langue arabe. En effet, dans l’arabe classique, « dharaba » peut également signifier s’éloigner, séparer, ou quitter. Il rappelle d’ailleurs qu’on utilise l’expression « dharaba mathalene » pour dire en français « donner un exemple ».


En réduisant ce mot à une interprétation aussi erronée, on a, selon lui, trahi le message spirituel du texte sacré et ouvert la voie, par ignorance ou par mauvaise foi, à des justifications de comportements en totale contradiction avec l’éthique de l’islam. « Lever la main sur une femme est en totale opposition avec les principes de notre religion », a-t-il affirmé avec gravité. C’est précisément cette dérive, ce malentendu persistant depuis des siècles, qui a conduit la Grande Mosquée de Paris à engager un vaste chantier : celui d’une nouvelle traduction du Saint Coran. Une traduction fidèle aux subtilités de la langue arabe, respectueuse de la profondeur du sens, et digne de la noblesse du texte sacré.


Ce n’est qu’après cette séquence d’émotion, nourrie par la mémoire, l’amour et l’indignation, qu’il a doucement conduit l’auditoire vers le cœur de la soirée, à savoir : Les héroïnes de l’Islam. Dans cet ouvrage, il ne propose ni un exposé théologique, ni une démonstration académique ou historique. Il y partage, à travers les portraits de plusieurs femmes musulmanes, une réflexion vivante, habitée par son regard d’homme et de croyant. Il y parle de la femme musulmane non pas telle qu’on la caricature, mais telle qu’elle est, ou plutôt telle qu’elle peut devenir, dès lors qu’on cesse de lui imposer le silence, la peur ou l’effacement.


Son livre rend hommage à ces femmes de foi et de savoir, de cœur et d’engagement ; à de Khadîdja, l’épouse du Prophète (qu’Allah l’agrée), à Karima Berger, écrivaine présente dans la salle. Il célèbre celles qui ont osé ; soigner, écrire, juger, enseigner, guider… Toutes ces femmes que l’histoire, souvent écrite au masculin, a tenté d’effacer. À travers cet ouvrage, il restitue à ces voix féminines la place qui leur revient de droit dans l’héritage musulman.


Page après page, il lance un appel, un appel à l’intelligence, à la justice, à la redécouverte d’un islam éclairé, dans lequel la femme n’est ni à corriger, ni à dominer, mais une âme à reconnaître. Un être autonome, digne, égal. Et peut-être, sans le dire ouvertement, ce livre est aussi une lettre adressée à sa mère. Une manière de prolonger son regard, de répondre à sa tendresse, et de lui murmurer simplement… merci, MAMAN.


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*Article paru dans le n°61 de notre magazine Iqra.




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