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Regard fraternel (n°35) - Léon Tolstoï, un modèle d'humanité et de paix par le partage et la simplicité



Aimer d’un amour humain, c’est pouvoir passer de l’amour à la haine, tandis que l’amour divin est immuable.”

Léon Tolstoï - Guerre et Paix


À 15 ans, il plonge déjà dans Voltaire et Rousseau, trouvant dans leurs idées une lumière qui ne le quittera jamais. Fils d'une aristocratie russe éclatante mais endeuillée, Léon Tolstoï, orphelin trop tôt, découvre dans les drames de son enfance et les horreurs de la guerre une vérité universelle, celle de la fragilité et de la grandeur humaine. Écrivain visionnaire et penseur tourmenté, il dépasse la gloire littéraire pour embrasser une quête plus profonde : celle d'un idéal de paix, de justice et d'amour universel, qui fera de lui l'un des plus grands humanistes de son époque.


Avec une perspective fraternelle, voire humaniste, et à l'approche de la commémoration du 114ᵉ anniversaire de son décès, nous plongeons dans la profondeur de l'humanité à laquelle Tolstoï nous invite. À travers ces lignes, nous mettrons de côté la religion pour explorer si le langage universel de l'humanisme entre en contradiction avec les principes et les valeurs promus par notre noble foi.


Qui est Léon Tolstoï ?

Lev Nikolaïevitch Tolstoï, né le 9 septembre 1828 et mort le 20 novembre 1910, compte parmi les personnages clés de la littérature russe. Connu pour ses romans et nouvelles, il se distingue par une analyse psychologique fine et des réflexions profondes sur la morale et la philosophie.


Léon, l'enfant

Léon Tolstoï, fils de la comtesse Marie Sergueïevna Volkonskaïa et du comte Nicolas Ilitch Tolstoï, perd sa mère alors qu'il n'a que dix-huit mois. Il passe ses premières années à la campagne, dans un environnement paisible, entouré de sa famille. La mort de son père en 1837 et celle de sa grand-mère peu après bouleversent son existence. Orphelins, Léon et ses frères et sœurs trouvent refuge chez leur tante, qui réside près de la Volga.


Jusqu'à l'âge de huit ans, il apprend les bases de la langue française, de l'allemand et du russe. Il s'oriente ensuite vers une éducation plus poussée, et le départ de sa famille pour Moscou marque un tournant. C'est à cette époque que sa sensibilité exacerbée lui vaut le surnom affectueux de Liova Riova, ce qui signifie "Léon le pleurnicheur".


À seize ans, il entame des études universitaires, d'abord en langues, puis en droit, mais il se détourne rapidement de l'enseignement académique, qu'il trouve dénué d'intérêt. Ses lectures personnelles, notamment Rousseau et Voltaire, deviennent alors une source majeure de stimulation intellectuelle.


Durant cette période, il consigne ses pensées dans un journal et élabore un recueil de règles de conduite, témoignage de ses aspirations à la droiture. Cependant, il confesse être en proie à des insatisfactions ; il juge son physique ingrat et son caractère irritable et prétentieux. Cela le conduit à privilégier la quête de la gloire au détriment de la vertu. À dix-neuf ans, il abandonne ses études et se laisse entraîner dans une existence désordonnée, marquée par le jeu et l'alcool.


Du soldat à l’écrivain

Ses liens avec son frère aîné qui était militaire, l’ont emmené à intégrer l’armée de 1851 à 1855, Léon Tolstoï mène une vie de soldat, d’abord dans le Caucase, puis en Crimée. Durant cette période, il publie ses premières nouvelles, inspirées de son enfance et de son adolescence, qui rencontrent un grand succès. Pourtant, Tolstoï doute encore de sa vocation littéraire, se considérant davantage comme un homme d’action.


À partir de 1855, il s’immerge dans les milieux littéraires et entreprend de nombreux voyages à travers l’Europe. Il commence à étudier les méthodes pédagogiques et inspecte des écoles, tout en se liant avec des figures comme Tourguéniev, Proudhon et Herzen. Il était solitaire mais d’une forte personnalité. Tolstoï reste célibataire jusqu’à sa rencontre avec Sophie Behrs, de seize ans sa cadette. Leur mariage en 1862 marque le début d’une période de sérénité à la campagne, dans la demeure familiale de Tolstoï. Sa stabilité l’a aidé à publier Les Cosaques, inspiré de ses expériences militaires, et il entame la rédaction de Guerre et Paix, qu’il achève en 1869.


Un tournant moral

La même année, un profond bouleversement intérieur frappe Tolstoï. Il confie dans son journal : « Brusquement, ma vie s'arrêta... Je n'avais plus de désirs. Je savais qu'il n'y avait rien à désirer. La vérité est que la vie est absurde. » Cette crise existentielle, nourrie par le vide laissé par l’achèvement de Guerre et Paix (1869), l’une de ses œuvres qui marque le plus haut niveau de l’humanité, ne se limite pas à une reconstitution réaliste des guerres napoléoniennes en Russie, elle explique également les mécanismes de la violence, un thème inspiré par son expérience de la guerre de Crimée (1853-1855) et le pousse à explorer les écrits philosophiques, notamment ceux de Schopenhauer.


C’est dans ce contexte qu’il se lance dans un nouveau projet, un roman sur la vie contemporaine centré sur une femme infidèle. La rédaction d’Anna Karénine est cependant laborieuse, marquée par des drames personnels, tels que la perte de deux de ses fils, la maladie de sa femme, et d’autres épreuves familiales. Tolstoï en viendra à mépriser cette œuvre, la qualifiant d’“exécrable”, malgré l’accueil enthousiaste de la critique.


La pensée de Tolstoï et son œuvre divin


Dès l’enfance, Tolstoï est hanté par le sentiment de l’absurdité de la vie et se rebelle contre l’hypocrisie sociale. Il base toute sa morale sur un sentiment profondément humain qu’il qualifie de divin. Rejetant à la fois l’État et l’Église, il élabore une pensée radicale, souvent rapprochée de l’anarchisme chrétien. Sa critique des institutions oppressives, son souci pour les opprimés, et son engagement pédagogique en font une figure influente.


À partir des années 1870, Tolstoï s'engage dans une quête spirituelle et religieuse qui marque ses œuvres. Ses réflexions philosophiques se mêlent aux récits romanesques, comme dans Anna Karénine (1877), où il dépeint une passion tragique, ou encore dans Résurrection (1899), où le héros, confronté à un dilemme moral, croise la figure du Christ, reflétant ainsi les idéaux profonds de l’auteur. Pour Tolstoï, l’art authentique ne recherche pas la beauté superficielle, mais doit unir les hommes en transmettant des émotions sincères. Cette vision critique l’art bourgeois et l’« art pour l’art », jugés inaccessibles aux classes populaires.


En 1879, Tolstoï se tourne vers un christianisme personnel, qu’il expose dans Ma confession et Ma religion. Son approche reste cependant critique envers l’Église orthodoxe russe, prônant un christianisme non violent, dématérialisé et rationnel. Cette pensée inspirera des figures comme Gandhi, Romain Rolland, et plus tard Martin Luther King. Tolstoï et Gandhi échangeront une correspondance jusqu’à la mort de l’écrivain en 1910, après la lecture par Gandhi de Lettre à un Hindou.


Léon Tolstoï : le chemin vers une vie d’authenticité et de justice


À partir des années 1880, Léon Tolstoï amorce un tournant radical dans sa vie. Il abandonne les privilèges de son rang pour embrasser une existence simple, inspirée par des idéaux moraux et religieux. Cette démarche, bien plus qu'un rejet des normes sociales, traduit une quête éthique et spirituelle. Tolstoï aspire à incarner une vie fondée sur la frugalité, le travail manuel et le respect de la dignité humaine.


Vivant au sein de sa propriété de Iasnaïa Poliana, il distribue ses biens superflus et adopte les habitudes des paysans, comme fendre du bois, coudre des chaussures et vider lui-même son vase de nuit, un acte qu’il associe à une discipline morale qu’il appelle « la religion du pot de chambre ». À ses yeux, ces gestes modestes sont une voie vers un rapprochement avec Dieu et un refus de l’exploitation des autres.


Inspiré par le Sermon sur la Montagne, Rousseau, et des philosophes asiatiques comme Lao-Tseu, Tolstoï voit dans la vie simple une réponse aux inégalités sociales. Contrairement aux révolutionnaires ou philanthropes de son époque, il prône l'autosuffisance et la nonviolence comme des solutions concrètes. Son expérience auprès des plus démunis, lors du recensement de Moscou en 1882, renforce sa conviction.


Pour lui, seule une vie libérée de l’excès et du luxe peut rétablir une forme de justice sociale. Pour Tolstoï, le progrès véritable ne réside pas dans les avancées matérielles, mais dans la fraternité et l'amour universel. En effet, cette quête s’accompagne d’un dilemme personnel, il peine à réconcilier son idéal de simplicité avec sa position d’aristocrate et le poids des responsabilités familiales. Malgré cela, il demeure une figure marquante, montrant que la recherche d’une vie authentique peut devenir un modèle pour penser les enjeux sociaux et humains de toute époque.


À la fin de sa vie, Tolstoï quitte sa propriété d'Iasnaïa Poliana pour s'isoler. Frappé par une pneumonie, il meurt en 1910 à la gare d'Astapovo, seul et incompris, même de sa femme Sophie, qu'il refuse de voir. Ainsi s'achève la vie tumultueuse de l'un des plus grands penseurs et écrivains de l'histoire contemporaine.



*Article paru dans le n°40 de notre magazine Iqra.



 

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