
Emmanuel Macron, lors des commémorations du centenaire de la Grande Mosquée de Paris en 2022, résumait ainsi la singularité de cet édifice : « La Grande Mosquée de Paris porte la possibilité non pas seulement d’un islam en France, fidèle aux valeurs de la République, mais aussi d’un islam avec la France, qui le soutient, et même d’un islam de France, qui le fait grandir en son sein. » Ces mots résonnent avec une histoire marquée par des initiatives visant à reconnaître l’Islam et à inscrire sa présence dans le paysage républicain.
Les prémices de l’immigration musulmane : histoire et engagement
L’immigration maghrébine en France commence dès la fin du XIXᵉ siècle, encouragée par les besoins économiques des employeurs français. Pourtant, cette immigration est longtemps perçue uniquement sous l’angle de main-d’œuvre, occultant toute dimension religieuse. Pendant plusieurs décennies, ni les autorités ni les chercheurs ne s’intéressent à la pratique religieuse des premiers migrants musulmans, négligeant même des questions essentielles, comme celle relative aux cimetières.
C’est la Grande Guerre qui marquera un tournant. La mobilisation massive de soldats musulmans originaires d’Afrique du Nord et de l’Ouest révèle leur engagement au service de la France et impose une reconnaissance officielle de l’Islam. Pour honorer leur sacrifice, des tombes provisoires ornées de stèles musulmanes sont installées sur le front, avant d’être regroupées après la guerre dans des carrés militaires, comme à Douaumont, où près de 600 tombes orientées vers la Mecque perpétuent leur mémoire.
En 1914, un hôpital pour les soldats musulmans est créé à Nogent-sur-Marne, au sein du jardin colonial, avec une mosquée en bois inaugurée en 1916. Ce lieu de culte temporaire, doté d’un minaret, d’un dôme et d’une salle de prière, symbolise une première reconnaissance concrète. Les imams militaires y prononcent des discours exaltant l’alliance entre les territoires musulmans et la France : « Nous sommes les enfants de la France. Nous sommes venus volontairement (…) pour aider jusqu’à notre dernier souffle notre noble mère la France. »
Vers une reconnaissance officielle de l’Islam en France
La reconnaissance de l’Islam se poursuit après la guerre avec la création, en 1917, de la Société des Habous et des Lieux Saints de l’Islam, une institution algérienne chargée de financer des initiatives religieuses. Grâce au décret de 1907, qui permet au gouverneur général de l’Algérie de déroger à la loi de 1905, des subventions publiques sont allouées pour construire un lieu de culte musulman à Paris.
Le projet de la Grande Mosquée prend forme à partir d’un rapport d’Édouard Herriot, député maire de Lyon, qui pousse l’État à accorder une subvention de 500 000 francs. En 1921, la responsabilité de la construction est confiée à la Société des Habous, tandis que la Ville de Paris met à disposition un terrain de 7 500 m² dans le 5ᵉ arrondissement.
Les travaux débutent en1922, le maréchal Lyautey déclare : « Quand s’érigera le minaret que vous allez construire, il ne montera vers le beau ciel de l’Ile de France, qu’une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses. La France entend ne rien railler, ne rien troubler, ne rien effacer dans l’âme humaine de ce qui a pu contribuer à la réconforter, à l’élever, à l’ennoblir ». Ces paroles traduisent l’ambition de la République pour honorer les traditions religieuses tout en affirmant les valeurs de tolérance et d’unité nationale.
La classe politique française et l’Islam : de la Troisième République à nos jours
Présent à l’inauguration de la Grande Mosquée de Paris le 15 juillet 1926, Gaston Doumergue, alors président de la République, célèbre une vision de la laïcité protectrice de toutes les croyances.
Lors de son discours, il fait l’éloge de l’Islam tout en rappelant les principes fondamentaux de la République française : « Admettre, protéger toutes les croyances ; quelle que soit la voie que l’être humain se fraye vers son idéal, cette voie nous est sacrée ; nous la respectons et nous entourons ceux qui la suivent d’une égale sollicitude. Cette égalité devant nos lois des consciences humaines et de leurs élans sincères est la marque de notre démocratie. Les docteurs musulmans ont, nous le savons, exalté le respect de la dignité individuelle et de la liberté humaine (…). La démocratie n’a point d’autres fondements que ceux-là. »
Plusieurs décennies plus tard, François Mitterrand adresse un message de vœux aux musulmans de France à l’occasion de l’Aïd el-Fitr, soulignant l’importance d’une coexistence harmonieuse : « La rencontre entre la tradition islamique et les autres traditions spirituelles et philosophiques de notre pays doit conduire à une meilleure compréhension des peuples et des hommes (…), et permettre à ceux des Français qui confessent la foi du Prophète Mahomet de trouver toute leur place dansla communauté nationale. »
Le 9 avril 2002, Jacques Chirac devient le deuxième président français, après Gaston Doumergue, à visiter officiellement la Grande Mosquée de Paris. Il qualifie cet édifice de « lieu prestigieux, cher au cœur des musulmans de France » et de « haut lieu de la spiritualité et du culte musulmans », tout en insistant sur sa place dans l’histoire nationale. « La Mosquée de Paris, c’est cette pierre blanche par laquelle la République a marqué, au lendemain de la Grande Guerre, le sacrifice de ses combattants musulmans. (…) Ici, le message millénaire de l’Islam rejoint l’héritage et les valeurs de la République. »
*Article paru dans le n°50 de notre magazine Iqra.
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