Récits célestes (n°43) - L’esprit du prophète Yahia « Jean-Baptiste » veille sur Damas
- Guillaume Sauloup
- il y a 15 heures
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Au cœur de Damas, capitale de la Syrie, la Grande Mosquée des Omeyyades se dresse telle un pont entre les civilisations. Édifiée au début du VIIIᵉ siècle par le calife Al-Walid Ier, elle fut construite sur les vestiges d’une ancienne église chrétienne, à la suite d’un accord empreint de respect entre musulmans et chrétiens. Ses murs portent encore la mémoire des prières chrétiennes mêlée à l’élan spirituel de l’islam, rappelant qu’il fut un temps où la foi rassemblait au lieu de diviser.
À l’origine, les Grecs chaldéens, bâtisseurs de la ville, avaient érigé un temple dédié aux sept astres errants. Ce sanctuaire païen, orienté vers le nord céleste, fut transformé au IVᵉ siècle en une grande église chrétienne, placée sous le patronage de Saint Jean-Baptiste. C’est alors que l’on y transféra ce que l’on croyait être la tête du prophète Jean — Yahya (paix sur lui) —, un tombeau sacré qui demeure encore aujourd’hui au cœur de la mosquée.
La ville de Damas fut ouverte par Khalid ibn al-Walid (qu’Allah l’agrée) par la porte de l’Est, tandis que les chrétiens obtinrent une garantie de sécurité par l’intermédiaire d’Abou Oubayda Ibn al-Jarrah, lors de la signature d’un pacte conclu à la porte de Jabiyah. Après quelques désaccords, un compromis est trouvé, la ville est partagée en deux, une moitié par la force (Anwa) et l’autre par traité (Sulh).
Ainsi, les musulmans s’installèrent dans la moitié orientale de l’église, qu’Abou Oubayda transforma en mosquée. Le site de l’ancien temple antique fut alors partagé en deux : une partie devint un lieu de prière pour les musulmans, appelé Mosquée des Compagnons (Djamaa al-Sahaba), tandis que la partie occidentale demeura une église pour les chrétiens.
Pendant plus d’un siècle, musulmans et chrétiens cohabitèrent, entrant respectivement par la porte orientale et par la porte occidentale. Lorsqu'Al-Walid ibn Abd al-Malik décida d'édifier une grande mosquée à Damas, il ne trouva pas de lieu plus prestigieux que ce site chargé d’histoire et devenu un symbole religieux de la ville. En 86 de l’Hégire (705-706 apr. J.-C.), peu après son accession au pouvoir, Al-Walid prit la décision d’annexer la partie restante de l’église afin d’y construire une grande mosquée unifiée.
Selon certaines sources, Al-Walid compensa l'annexion en rachetant la partie chrétienne et en offrant aux chrétiens une autre église, située près du hammam Al-Qasim, à la porte Al-Faradis. Ils la baptisèrent Marihana, en souvenir du sanctuaire perdu, et emportèrent même la pierre commémorative de leur ancienne église pour l’installer sur le nouvel édifice.
Pour mener à bien ce projet monumental, Al-Walid mobilisa une foule d’artisans, d’architectes et d’ouvriers, sous l’impulsion de son frère et successeur désigné, Suleyman Ibn Abd al-Malik. Le calife sollicita également l’aide du roi des Byzantins, qui envoya des artisans spécialisés, témoignant ainsi de l'importance exceptionnelle de cet édifice. Sous la dynastie abbasside, la mosquée continua d’évoluer : en 780, Al-Fadl Ibn Salih fit ériger une coupole à l’est de la mosquée, puis, en 789, il fit construire la Coupole du Trésor (Qubbat El-Khazna), destinée d’abord à conserver les biens du sanctuaire avant d’être transformée en bibliothèque pour abriter des manuscrits précieux.

Sous le règne d’Al-Mamoun, en 831, le Minaret de la Mariée (Manarat El ‘Arus), situé sur le mur nord face au quartier de Kallasa, fut restauré.
Aujourd’hui encore, la Mosquée des Omeyyades s’étend sur un plan rectangulaire de 157 mètres sur 100 mètres, soit une superficie de 15 700 m². Elle est ceinte de puissants murs en pierre taillée, héritiers en partie du mur antique du temple romain. Le sanctuaire abrite trois minarets ainsi qu’un vaste patio central (Sahn) d’environ 6 000 m², bordé de galeries soutenues par des colonnes surmontées de chapiteaux corinthiens. Ainsi, même après sa transformation en grande mosquée sous le califat d'Al-Walid, la mémoire chrétienne n’a jamais quitté le cœur du lieu. Au sein même du sanctuaire musulman, une chapelle a été préservée, renfermant ce que l’on croit être le tombeau de Jean-Baptiste (Yahya, en arabe), vénéré tant par les chrétiens que par les musulmans.
Cette coexistence silencieuse, empreinte de respect mutuel, témoigne d’un héritage spirituel partagé, profondément enraciné dans l’âme de Damas. En déambulant sous les hautes arcades du patio, en admirant les mosaïques byzantines éclatantes, en se recueillant près du sanctuaire de Jean-Baptiste, les croyants de toutes confessions ressentent ce lien ancien, presque sacré, qui unit la ville à son histoire chrétienne autant que musulmane.
*Article paru dans le n°63 de notre magazine Iqra.
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