Focus sur une actualité (n°55) - L’indignation sélective ? Le regard de la presse étrangère européenne et arabe sur l’assassinat d’Aboubakar Cissé
- Guillaume Sauloup
- il y a 4 jours
- 6 min de lecture

L’assassinat d’Aboubakar Cissé, jeune Malien poignardé à mort le 25 avril 2025 dans la mosquée Khadîdja de La Grand-Combe (Gard), a suscité une onde de choc… mais surtout au sein de la société civile. Tandis que les autorités françaises ont tardé à réagir, la presse étrangère — européenne comme arabe — s’interroge sur cette tiédeur officielle. En creux, une question lancinante : les crimes islamophobes bénéficient-ils d’une moindre reconnaissance politique et médiatique en France ?
Un crime, un silence… et l’indignation étrangère
Dès les premiers jours, les médias européens ont exprimé leur étonnement, voire leur consternation face à la relative discrétion des autorités françaises. En Allemagne, Der Spiegel titrait : “Haine mortelle, silence assourdissant”, s’inquiétant d’un traitement différencié. “Le gouvernement d’Emmanuel Macron a mis bien longtemps à réagir comme il se devait”, note l’hebdomadaire, évoquant “des questions brûlantes” sur la valeur accordée aux victimes musulmanes.
Le NRC Handelsblad, aux Pays-Bas, évoque une société française “profondément choquée” mais confrontée à un malaise persistant : “Pourquoi ce silence relatif, malgré l’horreur du geste ?” En Italie, le Corriere Della Sera s’étonne de l’“absence d’unité nationale” qui accompagne d’ordinaire d’autres drames de nature extrémiste.
Le Spectator, au Royaume-Uni, plus conservateur, dénonce quant à lui une “spirale de violence contre les musulmans ”dans une France de plus en plus fracturée, où les actes islamophobes les plus graves “ne provoquent plus de sursaut collectif”. Le magazine britannique rappelle que “les chiffres officiels sur les actes islamophobes sont en baisse, mais l’atmosphère, elle, est de plus en plus tendue”.
Le cri d’alarme des médias arabes
Plus incisifs encore, les journaux arabes n’ont pas hésité à qualifier l’attitude française de “complicité silencieuse”. Dans une tribune publiée le 4 mai 2025, Al Jazeera dénonce une “indifférence institutionnelle” face à l’islamophobie : “La lenteur de la réaction officielle révèle une tolérance de plus en plus marquée envers les discours de haine contre les musulmans, désormais banalisés dans l’espace politique et médiatique français.” La chaîne qatarie s’interroge également sur la non-qualification du meurtre en tant qu’acte terroriste, malgré les éléments manifestes de haine religieuse.
De son côté, Acharq Al-Awsat, quotidien panarabe basé à Londres, met en lumière les ambiguïtés juridiques et politiques entourant l’affaire. Il note que la question de la qualification de ce meurtre – crime de haine ou acte terroriste – provoque une vive controverse en France, révélatrice des tensions persistantes autour de la laïcité et de l’islam. “Cette affaire n’est pas seulement judiciaire, elle est éminemment politique. Elle montre les limites de la République dans sa promesse d’égalité”, écrit le journal.
Une République à géométrie variable ?
La critique s’étend aussi au traitement différencié des faits selon les victimes. Dominique Sopo, président de SOS Racisme, dénonçait déjà sur France Info “un ordre de priorité” dans les réactions politiques. Il soulignait l’écart entre la réactivité du ministre de l’Intérieur après l’attaque de Nantes — survenue un jour avant celle de La Grand-Combe — et son mutisme concernant le meurtre d’Aboubakar Cissé.
Même tonalité du côté de la Grande Mosquée de Paris, qui, par la voix de notre recteur Chems-Eddine Hafiz, parle d’un “crime effroyable dans un climat de haine instillé par des discours irresponsables”. L’appel à “prendre la mesure du crime” semble, pour l’instant, rester lettre morte.
Un miroir tendu à la France
À travers les analyses venues d’Allemagne, d’Italie, des Pays-Bas, de Suisse ou du monde arabe, une même interrogation revient : pourquoi la République semble-t-elle réagir avec moins de vigueur lorsque les victimes sont musulmanes ? Pourquoi l’unanimité républicaine fait-elle défaut ?
La presse étrangère, souvent plus lucide sur les angles morts français, dresse ici un portrait troublant d’une démocratie qui peine à affirmer sa promesse d’égalité. Comme l’écrit Le Temps de Genève : “Ce crime bouleverse les lignes et oblige à repenser l’idée même d’universalisme républicain.”
Ce qu’ils disent
Der Spiegel (Allemagne) : “Une victime musulmane a-t-elle moins de valeur qu’une autre ?”
Al Jazeera (Qatar) : “Ce silence, c’est déjà une parole. Celle d’une République qui tolère qu’on tue au nom de la haine islamophobe.”
Acharq Al-Awsat (Royaume-Uni) : “Ce n’est pas un fait divers. C’est un révélateur de la crise morale française.”
Corriere Della Sera (Italie) : “Une démocratie ne peut se permettre d’être sélective dans sa compassion.”
*Article paru dans le n°61 de notre magazine Iqra.
______________
À LIRE AUSSI :
Focus sur une actualité (n°37) - A la croisée des mondes : réflexions sur l'état du monde après 2024
Comments