Lumière et lieux saints de l'Islam, à la découverte des mosquées du monde (n°64) - La Mosquée-Mère de Bassora
- Guillaume Sauloup
- il y a 9 heures
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Premier sanctuaire de l’islam hors des terres sacrées
Au bord des plaines sablonneuses du sud mésopotamien, là où les vents du Tigre mêlent leur plainte aux palpitations des palmeraies, s’élève, ou plutôt subsiste, l’ombre sacrée de la première mosquée que l’islam ait fondée en dehors de La Mecque et de Médine : la grande mosquée de Bassora, al-Jâmiʿ al-Kabîr.
Son histoire remonte à l’an 14 de l’Hégire, soit 635 de l’ère chrétienne. Le calife bien guidé Omar ibn El-Khattab,qu’Allah l’agrée, avait alors confié au noble compagnon Outba ibn Ghazwān la mission de fonder, sur une terre encore vierge d’islam, un camp militaire destiné à contenir les incursions perses et à propager la lumière divine. Ainsi naquit Bassora, l’un des premiers amṣār, ces villes-citadelles de la foi, bâties selon l’ordre du Très-Haut pour être à la fois forteresse et lieu d’adoration.
La première structure du sanctuaire n’était qu’un enclos de roseaux et de troncs de palmiers, dressé à même la poussière rouge du désert. Point de coupoles encore, ni d’arcs brisés : seule une vaste cour ouverte, peut-être ceinte d’une palissade, où les tout premiers musulmans prosternaient leurs fronts sur la terre nue, dans une foi brûlante et intacte.

Mais les flammes, et le destin, passèrent. Vers l’an 17 H, un incendie ravagea la ville. Le gouverneur pieux Abū MoussaEl-Ash’ari en appela alors au Commandeur des Croyants pour reconstruire la mosquée. Il la rebâtit en briques de terre crue et l’enduisit d’argile, lui donna un toit d’herbes sèches, et, dans un geste de rigueur spirituelle, un plan carré, image du tawhid, l’unité divine, transposée en géométrie.
Puis vinrent les temps du faste. Sous la gouvernance de Ziyâdibn Abīh, la mosquée se pare de pierre taillée, de plâtre et de bois de teck. Il y fait ériger le premier minaret de l’histoire islamique, aussi bien que la première maqsûra, ce logis clos pour l’imâm ou le gouverneur, prélude aux rites de protection du pouvoir. Il adjoint à la mosquée la résidence du gouverneur, accolée à la qibla, et trace une porte vers le sanctuaire. Tout est pensé pour que l’ordre terrestre gravite autour du divin.
À l’époque abbasside, face à l’afflux des fidèles et à l’expansion de la ville, la mosquée s’agrandit encore. En 161 H / 778 EC, le calife El-Mahdi, guidé par la vision d’une capitale spirituelle, achète les maisons environnantes et fait agrandir l’édifice. Mais la foule des prosternés déborde toujours. Alors, Haroun El-Rashid ordonne d’intégrer jusqu’au dār al-imāra (le palais) dans la trame sacrée du sanctuaire. On rapporte que les murs extérieurs de la mosquée comptaient plus de mille attaches pour chevaux, témoins du va-et-vient incessant des dévots.

Hélas, le temps érode ce que la foi bâtit. Des dégradations frappèrent l’édifice. C’est El-Mustanṣir Billah, calife constructeur et amoureux de l’art, qui en ordonna une restauration somptueuse en 624 H / 1227 EC. Il fit poser des toitures neuves en teck et réutilisa les anciennes colonnes. Il ne reste aujourd’hui que le coin nord-ouest, orné de sublimes muqarnas soutenant une base de minaret, et de délicats motifs végétaux sculptés en creux, comme autant de prières pétrifiées.
Ce n’est qu’en 1960 que les entrailles du sanctuaire révélèrent leurs secrets aux savants. Une mission archéologique irakienne, dirigée par le Dr Abd El-Aziz Hamid, mit au jour les vestiges d’une salle de prière à cinq nefs, définies par des colonnes cylindriques sur bases carrées. Deux bases de minarets furent retrouvées aux angles nord-est et nord-ouest. Des pans de murs, ornés de niches en demi-colonnes et d’arcs brisés, réapparurent dans la lumière. On y découvrit également des fragments de briques décorées de motifs floraux et géométriques, ainsi que des inscriptions en coufique gravées, sur trois plaques de pierre.
Aujourd’hui, il ne reste de la grandeur passée que des pierres éparses, des traces silencieuses, et une mémoire du tout premier appel à la prière résonnant hors du Hijaz. Mais pour celui qui sait lire dans les ruines, la grande mosquée de Bassora demeure un témoin lumineux de l’aube islamique, une pierre angulaire de l’histoire sacrée, un mihrab tourné non seulement vers La Mecque, mais vers l’origine du monde.

*article paru dans le n°69 de notre magazine Iqra.
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