Lumière et lieux saints de l'Islam, à la découverte des mosquées du monde (n°61) - Mosquée Seyyida Ruqaiya de Ghaza
- Guillaume Sauloup
- 26 mai
- 7 min de lecture

Dans le quartier de Shujaiya, à l’est de Ghaza, là où la poussière du temps se mêle aux éclats des guerres récentes, se dresse, presque en prière, la mosquée de Seyyida Ruqaiya. Lieu de silence sacré, témoin de siècles d’histoire et de piété, ce sanctuaire bâti à l’époque des Mamelouks (vers 920 H / 1514-1515), incarne l’un des joyaux les plus précieux du patrimoine islamique de la bande de Ghaza. Aujourd’hui, sous la menace persistante des bombes et des démolitions, sa présence devient un acte de résistance, un verset de pierre inscrit contre l’oubli.
Une mémoire enfouie dans la pierre
Le nom de la mosquée demeure auréolé de mystère : certains récits évoquent Seyyida Ruqaiya, épouse d’un ancien gouverneur ottoman de Ghaza ; d’autres l’identifient à Ruqaiya bint Ahmad, dont le tombeau repose dans l’enceinte ruinée de la mosquée Ali ibn Marwan, non loin de là. Qu’elle ait été noble, savante ou simple pieuse, son nom a traversé les siècles, gravé dans les murs de ce sanctuaire.
L’histoire de la mosquée est intimement liée à celle de ses bienfaiteurs : ainsi, entre 1170 et 1222 de l’Hégire, c’est le cheikh et marchand Fakhreddine al-Tujjâr, al-Hajj Salim Hathet, qui en assura la garde, la restauration, et la dotation en biens de waqf. Il y fit édifier des échoppes attenantes dont les revenus étaient affectés à l’entretien de l’édifice, selon les principes généreux du droit musulman.

La mosquée fut aussi un lieu de transmission du savoir. Elle abritait jadis un institut d’enseignement, une bibliothèque et une zawiya, où l’on récitait le Coran, étudiait les sciences religieuses et méditait loin du tumulte du monde. Cette mémoire savante fut brutalement interrompue durant la Première Guerre mondiale, lorsque les bombardements détruisirent la précieuse bibliothèque.
Une architecture discrète, mais habitée de souffle
Au cœur de la vieille ville de Ghaza, la mosquée SeyyidaRuqaiya épouse les lignes sobres d’un art religieux profondément enraciné dans la terre palestinienne. Son intérieur, que révèlent les arcs en pierre calcaire et les voûtes élégamment cintrées visibles sur les photos, présente une beauté dépouillée, presque monastique. Les arcs en ogive s’entrelacent dans une géométrie sacrée, portés par des piliers massifs aux lignes archaïques, comme un cœur de pierre battant à l’intérieur d’une cité blessée.

De chaque côté, de petites niches voûtées abritent étagères et pupitres de bois, sur lesquels reposent les volumes du Saint Coran. Des ventilateurs fixés aux pierres semblent incongrus dans leur modernité, mais rappellent la vie persistante qui continue de peupler ces murs, une vie faite de prières, de soupirs, de prosternations discrètes.
Le mihrab, simple cavité creusée dans la pierre, orienté vers La Mecque, rappelle l’humilité majestueuse des premiers lieux de prière. Un tapis rouge profond, parsemé de motifs discrets, s’étend sous les pas des fidèles comme un fleuve de silence recueilli.
Un souffle spirituel menacé
En août 2013, un projet de restauration fut lancé par le Centre Iwan d’architecture patrimoniale, avec le soutien des habitants du quartier. Trois étages furent ajoutés pour répondre aux besoins croissants de la communauté. Le sanctuaire fut rouvert à la prière en mars 2014. Durant les travaux, les ouvriers mirent au jour une dalle de marbre gravée de motifs végétaux, entourée d’inscriptions arabes raffinées : vestige d’un passé qui refusait de s’éteindre.
Mais aujourd’hui, cette mosquée risque de disparaître sous les décombres. Depuis près de deux ans, Ghaza est livrée à une guerre dont les fondations semblent s’attaquer à toute mémoire, à toute prière, à toute pierre qui témoigne de la dignité d’un peuple. La mosquée Seyyida Ruqaiya, tout comme d’autres sanctuaires ancestraux, se trouve menacée d’effacement, non pas par le temps mais par la violence.

Une mosquée comme une invocation
Elle n’est pas seulement un édifice. Elle est un verset sculpté dans la poussière de Ghaza. Elle est l’écho d’une voix féminine oubliée, mais invoquée à chaque rak‘a. Elle est un abri de lumière dans les ténèbres de l’injustice. Et si un jour elle devait s’effondrer, que son souvenir demeure inscrit dans les cœurs, comme demeure en nous la sourate Ar-Rum, récit des terres reconquises après la ruine : « Et après leur défaite, ils seront victorieux. »
Tant que la mosquée Seyyida Ruqaiya tient debout, Ghaza prie encore. Et tant qu’on y prie, rien n’est perdu.
*article paru dans le n°66 de notre magazine Iqra.
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