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Lumière et lieux saints de l'Islam, à la découverte des mosquées du monde (n°63) - La Mosquée de la Bay‘a



Là où le désert se courbe entre les pentes du mont Thubayr et les replis secrets de Mina, s’élève une demeure sans faste, mais chargée d’éternité : la mosquée de la Bay‘a, Masjid El-Bay‘a, ou encore Masjid El ‘Aqaba. Peu d’édifices portent dans leurs fondations autant de sens que celui-ci : non pas simple maison de prière, mais lieu du pacte, point de bascule entre l’annonce et l’établissement, entre la solitude du Prophète ﷺ à La Mecque et l’accueil lumineux de Yathrib, devenue Médine.


C’est ici que, par une nuit où les cœurs veillaient, le Messager d’Allah, paix et salut sur lui, reçut l’allégeance des Ansars. Une promesse scellée dans le silence des palmes et le souffle du vent, à l’orée de l’Hégire. Ce moment, gravé dans les cieux avant même qu’il ne fût consigné sur les parchemins, allait faire naître une communauté. La mosquée, elle, vint plus tard, comme pour honorer ce lieu que les anges eux-mêmes avaient effleuré de leurs ailes.


Ce fut en l’an 144 de l’Hégire (761 de notre ère) que le calife abbasside Abū Jaʿfar al-Mansour ordonna l’édification de la mosquée. Elle se dressa alors, non loin de la Jamra El ‘Aqaba, comme un monument de mémoire plus que de majesté. Sa position géographique est singulière : à l’extrême Est de La Mecque, au sud de la montagne Thubayr, sur la frontière de Mina, dans un étroit vallon que l’on nomme Cha‘b El-Ansar, “la faille des Auxiliaires”, comme un écho de leur présence invisible.



L’architecture originelle, telle que la décrivit le savant El-Taqi El-Fassi dans « Shifâ’ El-Gharām bi-Akhbar El-Balad El-Harâm », témoigne d’une sobriété majestueuse. La mosquée se composait de deux portiques (Rāwqayn), chacun coiffé de trois coupoles, portées par quatre arcs. Derrière, une cour ouverte (raḥba) prolongeait l’espace sacré, lui conférant une ouverture à la lumière, une respiration vers le ciel. Quatre portes s’ouvraient vers le nord et le sud, et l’ensemble s’ordonnait selon les mesures traditionnelles : 23 coudées de longueur pour le portique avant, 38 coudées et un sixième du mihrâb au fond de la cour, toutes prises selon la coudée de fer. Ce soin du détail, cette géométrie mesurée, traduit la science sacrée de l’édification, où chaque chiffre est une prière.


La mosquée, hélas, resta enfouie durant des siècles, dissimulée derrière le mont de l’‘Aqaba, jusqu’à ce qu’en 1428 H (2007), lors de l’élargissement des chemins du pèlerinage, la montagne soit retirée et que le sanctuaire revoie la lumière. Il apparut alors, tel un manuscrit ancien rendu lisible par l’effacement du sable.



Trois plaques de pierre fixées aux murs témoignent des rénovations successives : l’une en 626 H (1227) sous le califat d’El-Mustanṣir, une autre en 1024 H (1615) selon El-Tabari, et enfin aujourd’hui, dans le cadre du Projet Mohammed ben Salmane de restauration des mosquées historiques, lancé en 2018. Ce projet, plus qu’une entreprise de restauration, se veut un acte de préservation des lieux habités par la baraka, ces traces invisibles laissées par les pas du Prophète ﷺ.


La mosquée couvre aujourd’hui 457,56 m², et peut accueillir 68 fidèles à la fois. Peu nombreux, certes, mais assez pour faire vivre le souvenir, et revivifier le pacte. Le mihrâb demeure tourné vers la Ka‘ba, mais l’esprit du lieu, lui, est tourné vers le passé prophétique, vers cette nuit bénie où l’on dit que les cieux se penchèrent sur la terre.


Ainsi vit la mosquée de la Bay‘a : humble et silencieuse, mais vibrant de cette promesse qui fit de compagnons simples, les fondateurs d’un monde. Un sanctuaire où l’on ne prie pas seulement avec les gestes, mais avec la mémoire. Un lieu où l’architecture devient invocation, et la pierre devient serment.




*article paru dans le n°68 de notre magazine Iqra.



                         

 

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