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Sabil al-Iman (n°82) - Être musulman dans la cité : foi, éthique et responsabilité

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Par Cheikh Khaled Larbi

Dans la cité des hommes, les voix se croisent et se perdent ; les lumières brillent sans réchauffer, et les cœurs marchent sans direction. Mais au détour d’une rue, un croyant avance, calme, présent, confiant. Il porte en lui une lampe invisible : la foi. Elle éclaire sans bruit, elle rassure sans discours. Il ne fuit pas le monde, il l’habite avec Dieu ; il ne déserte pas la cité, il y sème la paix. Car être musulman, ce n’est pas s’isoler du réel, c’est vivre la foi comme une responsabilité et la présence comme une prière.

 

La foi, un ancrage dans le réel

 

Le Coran n’a jamais été un livre d’évasion. Il n’invite pas à fuir la société, mais à l’habiter avec justesse. Dès les premières révélations, il place le croyant au cœur du monde : « Et dis : agissez ! Dieu verra vos œuvres, de même que Son Messager et les croyants. » (Coran, 9 :105)


L’islam ne sépare pas le spirituel du social, ni la foi de l’action.


Le croyant n’est pas un rêveur, mais un témoin (shāhid), un acteur de la miséricorde.


Vivre sa foi, c’est donner forme à la bonté : un sourire offert, un travail bien fait, un voisin respecté, un élève encouragé.Dans la rue, dans l’école, dans l’hôpital ou au marché, la foi devient un souffle civique : elle élève sans dominer, elle construit sans exclure.


La foi n’est pas une tente dressée contre le vent, elle est un phare qui guide les passants.

 

Le Prophète ﷺ : modèle d’une citoyenneté spirituelle

 

À Médine, le Prophète ﷺ ne s’est pas contenté d’enseigner la foi. Il a bâti une cité du sens, fondée sur la justice et le respect. LaConstitution de Médine fut un pacte d’humanité avant l’heure : musulmans, juifs et polythéistes y étaient unis par un même engagement civique : vivre ensemble dans la sécurité et la dignité. Il disait : « Le meilleur des hommes est celui qui est le plus utile aux autres. » (Rapporté par al-Baïhaqi). Cette parole est une éthique du citoyen croyant.


Être utile, c’est répondre à l’appel du réel : enseigner avec sincérité, soigner avec compassion, défendre les faibles, protéger la terre. Le Prophète ﷺ réparait ses vêtements, balayait sa maison, visitait les malades et conseillait les jeunes. Il priait longuement la nuit, mais le jour, il marchait dans les marchés. Il reliait le ciel et la terre, la prière et la justice, le culte et la culture. En lui, la spiritualité n’était pas fuite, mais fidélité à la vie et à la dignité des hommes.

 

Khidma, le service comme acte de foi

 

Dans la tradition islamique, le mot Khidma signifie « service rendu avec amour ». Servir, c’est traduire la foi en gestes concrets. Un croyant sincère ne se définit pas par ses mots, mais par son utilité sociale.


Le Calife Omar ibn al-Khattab disait : « Si un âne trébuche sur le chemin de l’Irak, je crains que Dieu ne me demande : pourquoi ne lui as-tu pas dégagé la route ? » Cette phrase résume une théologie de la responsabilité : le croyant répond devant Dieu de son rapport au monde.


Il n’est pas spectateur de l’injustice, ni indifférent à la souffrance.


Dans nos sociétés contemporaines, la Khidma prend mille visages : enseigner à des jeunes des quartiers défavorisés, offrir son temps dans une maraude, soutenir une famille en difficulté, ou simplement travailler honnêtement, sans tricher ni médire.

 

Chaque geste est une prière silencieuse. La Khidma transforme la foi en citoyenneté éthique.


Celui qui sert avec foi, prie sans mots. Celui qui agit pour le bien, fait acte de dhikr dans le tumulte du monde.

 

Foi, justice et excellence : les piliers du citoyen croyant

 

Le Coran répète : « Dieu commande la justice, la bienfaisance et la générosité envers les proches. » (16 :90) La justice (‘Adl) est la racine de toute vie sociale équilibrée.


Le croyant doit être juste même envers celui qu’il n’aime pas :« Que la haine d’un peuple ne vous incite pas à être injustes. Soyez justes, cela est plus proche de la piété. » (5 :8)


Dans la cité moderne, cette justice se traduit par l’honnêteté au travail, la probité dans les affaires, la neutralité dans le jugement.


Un médecin musulman soigne tout patient sans distinction.


Un enseignant musulman éduque chaque élève sans préférence.


Un commerçant musulman rend la monnaie exacte, même lorsqu’on ne regarde pas.


À côté de la justice, le Prophète ﷺ a placé l’excellence (Ihsân).


L’Ihsân est ce supplément d’âme qui transforme une tâche en adoration.


Travailler avec conscience, sourire à celui qui te blesse, pardonner là où tu pourrais te venger, voilà l’excellence.Ainsi, le musulman dans la cité n’est pas seulement un citoyen respectueux des lois : il est un passeur de sens, un artisan de beauté morale.

 

Le musulman dans la cité moderne : entre foi et complexité

 

Être croyant aujourd’hui, c’est vivre dans un monde bruyant, parfois confus, souvent indifférent. La foi n’y est pas toujours comprise ; elle est parfois moquée, caricaturée ou marginalisée. Mais loin de s’éteindre, elle s’affine : c’est dans l’épreuve que la lumière devient plus pure. Le musulman de France est confronté à un double défi : vivre sa foi sans se replier, s’intégrer sans se renier.

 

Cette tension n’est pas une faiblesse, mais plutôt une richesse spirituelle. Elle oblige à la profondeur : à redéfinir la foi non comme une identité fermée, mais comme une source d’éthique universelle. La foi n’est pas un drapeau à brandir, c’est une eau qui désaltère, même celui qui ne croit pas. Dans les écoles, les hôpitaux, les entreprises, les croyants musulmans sont nombreux. Ils enseignent, soignent, bâtissent, conseillent, innovent.


Ils ne prêchent pas par la parole, mais par la présence. Leur sourire devient un verset, leur conscience une sourate silencieuse.

 

L’islam, source de civisme et d’espérance

 

Le civisme islamique ne vient pas d’un code administratif, mais d’une conscience transcendante : le croyant se sait responsable devant Dieu de son comportement social.


C’est pourquoi l’Islam a toujours favorisé les institutions de solidarité :

  • les waqfs (fondations caritatives) pour soutenir les écoles, les orphelins, les voyageurs,

  • les hôpitaux publics à Bagdad, Damas, Cordoue, ouverts à tous,

  • les marchés régulés par des règles morales et non par la seule concurrence.


Ces exemples historiques rappellent que la foi musulmane n’a jamais été étrangère à la construction du bien commun.


Aujourd’hui, le croyant peut prolonger cet héritage : en respectant les lois de la République, en protégeant la nature, en travaillant avec intégrité, et surtout en cultivant la bienveillance dans les relations humaines.


Ô toi, croyant dans la cité des hommes, ne laisse pas ta foi dormir dans tes prières.


Fais-en une source d’amour, un appel à la justice, un souffle de service. Sois le témoin d’un islam du cœur, qui élève sans juger, qui construit sans exclure. Vis avec les tiens sans te fondre, et avec les autres sans te perdre. Sois un pont, non un mur ; une main tendue, non un poing levé. Car Dieu regarde ton intention plus que ton appartenance, et Il aime ceux qui bâtissent les ponts du bien.


Être musulman dans la cité, c’est allumer la foi dans la rue,faire de son métier une prière, et de son comportement une lumière.

 


*Article paru dans le n°82 de notre magazine Iqra.



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Sabil al-Iman (n°81) - La justice en islam : nom divin et devoir humain

Sabil al-Iman (n°76) - Le Prophète ﷺ, école de miséricorde et de foi



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