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Récits célestes (n°45) - Le sens de la mort dans les trois monothéismes


« Mourir, ce n’est pas disparaître. C’est traverser. L’âme ne s’éteint pas, elle retourne. Et ceux qui aiment ne laissent jamais vraiment partir. »


La question de la fin de vie touche au plus intime : que faire lorsque la souffrance semble l’emporter sur la dignité ? Pour les trois grandes religions monothéistes, la mort n’est ni un terme ni une rupture, mais un passage. Elle est un moment sacré qui engage l’âme, le corps et ceux qui accompagnent. Judaïsme, christianisme et islam s’accordent pour rappeler que la vie est un don, que l’homme ne peut disposer à sa guise. Chacune propose une espérance, un récit, une lumière sur le mystère du dernier souffle.


Traverser la mort avec foi


Avoir une foi religieuse, c’est pouvoir regarder la mort autrement. Elle n’est plus un vide, mais une traversée. Elle n’est plus un effacement, mais un passage, silencieux, mystérieux, vers une autre forme d’existence. Depuis les origines, les sociétés humaines ont cherché à donner sens à ce moment ultime, par des gestes, des prières, des rites. Ainsi, la mort biologique devient un événement sacré, un temps de passage qui engage le corps, l’âme, et ceux qui restent. Elle ne se vit pas seul, on meurt accompagné, entouré de présence et souvent porté par l’espérance de ne pas disparaître tout à fait.


Les trois grandes religions monothéistes : judaïsme, christianisme, islam, ont donné forme à cette espérance. Elles proposent des récits, des symboles, des horizons d’attente. Elles n’apportent pas seulement du réconfort aux vivants, elles éclairent aussi le mystère de ce qui advient après. Toutes affirment que l’au-delà n’est pas uniforme, mais ce qui attend l’âme dépend de la vie menée ici-bas. Mais au-delà de la rétribution, c’est une quête spirituelle qui s’esquisse. Celle de la rencontre avec Dieu, du retour à l’origine, de l’union à l’invisible.


Car la mort n’est pas qu’un sujet théologique. Elle ouvre sur une dimension mystique. Elle interroge la vie, le sens de nos choix, la nature de l’âme, notre lien intime avec le divin.


Dans le judaïsme


La mort est vue comme une séparation de l’âme et du corps, mais non comme un anéantissement. L’âme retourne à Dieu, et le souvenir du défunt devient lien vivant entre les générations. La vie, don sacré reçu de Dieu, ne s’interrompt pas volontairement. Même dans la souffrance, chaque instant est précieux.


Les anciens Israélites, au fil des siècles, ont affirmé une foi centrée sur Yahvé, source de toute vie. Le Shéol, lieu mystérieux des morts, évoque l’humilité face à l’au-delà. Mais c’est dans le souvenir que l’âme continue de vivre. « L’oubli est la véritable mort », dit-on. Les rites funéraires, sobres et respectueux, expriment cette conscience du passage : le corps est lavé, enveloppé, sans ostentation, car il a porté la vie.


Le judaïsme refuse l’idée d’une mort administrée ou provoquée par l’homme. Il oppose à cela une sagesse millénaire qui enseigne que la mort n’est pas à décider, mais à traverser, avec foi, mémoire et espérance. Certains sages disent que dans le dernier souffle, l’âme ne s’éteint pas, elle s’élève, portée par les prières de ceux qui l’aiment.


Dans le christianisme


La mort est comprise comme un passage « une Pâque » à l’image du Christ qui meurt et ressuscite. Elle n’est pas une fin, mais une participation à une vie plus grande. L’espérance de la vie éternelle en est le cœur. Mourir, dans la foi chrétienne, c’est rejoindre Celui qui est la Vie.


Les premiers chrétiens ont vécu la mort comme une rencontre : celle du visage de Dieu. Puis, avec le temps, est apparue la notion de jugement, influencée par les traditions juives et antiques : l’âme, après la mort, serait accueillie dans le paradis, le purgatoire ou l’enfer. Pourtant, cette justice divine ne contredit pas la miséricorde, elle la révèle.


Malgré les différences entre catholiques, protestants et orthodoxes, une conviction demeure : la vie est un don, non une propriété. Elle ne peut être interrompue par décision humaine, même par compassion. La dignité ne s’efface pas avec la souffrance, elle s’approfondit dans la vulnérabilité. Pour beaucoup de mystiques chrétiens, la mort est même désirée, comme l’ultime étreinte de Dieu.


Dans l’islam


La mort, en islam, est un passage discret et sacré, du visible vers l’invisible. L’âme quitte le corps et poursuit son chemin, non vers le néant, mais vers une existence plus subtile. Le Prophète (paix et bénédictions sur lui) a enseigné que la vie est une épreuve, la mort un soulagement, et l’au-delà, le véritable commencement.


Lorsqu’elle survient, la mort n’est pas un accident, mais un rendez-vous. Elle n’est pas un vol, mais l’accomplissement d’une promesse. L’homme ne possède pas sa vie, il l’a reçue. Il n’a donc pas le droit d’y mettre fin à sa convenance, il la préserve. Dans le langage du musulman lambda, on entend souvent dire : « Allah a repris Sa amana ». Cette amana « ce dépôt » c’est l’âme. Elle ne nous appartient pas, elle nous est confiée pour un temps. Dieu la confie à l’homme à sa naissance et la reprend à l’heure qu’Il a choisie.


Mourir, c’est alors rendre ce qui ne nous appartenait pas. C’est pourquoi, dans l’islam, la mort n’est pas une injustice. Elle est retour à l’Origine, passage vers une autre demeure. On ne parle pas d’un corps qui s’éteint, mais d’une âme qui poursuit son chemin. Le croyant vit avec cette conscience, il n’est que de passage, il est gardien de ce que Dieu lui a prêté, et il se prépare à remettre ce « dépôt » en paix, avec foi et confiance.


Après la mort, l’âme entre dans le Barzakh, un entre-deux mondes. Elle y perçoit la vérité de ses actes, en attendant le Grand Jour, où chacun comparaîtra devant Dieu. Mais l’islam n’est pas une religion de peur : c’est une espérance. Même pour les fautifs, la miséricorde divine peut triompher. Le Prophète disait : « Lorsque l’homme meurt, ses œuvres cessent sauf trois : une aumône continue, un savoir utile, ou un enfant pieux qui prie pour lui. »


Le croyant s’en remet alors à Dieu, avec confiance. Il ne désire pas hâter sa fin, mais mourir en état de foi, dans la paix intérieure. Car la mort n’est pas un adieu : elle est un retour.


À travers leurs différences, ces traditions nous rappellent une chose commune, la vie ne s’arrête pas à la mort. Elle se prolonge autrement, ailleurs. Et dans le silence du dernier souffle, ce ne sont plus les doctrines qui parlent, mais une foi nue. Une foi qui espère, malgré l’inconnu, que la lumière ne s’éteindra jamais.



*Article paru dans le n°65 de notre magazine Iqra.

 



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