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Focus sur une actualité (n°57) - À Ghaza, l’Humanité en suspens : et si c’était l’Ukraine ?

Si les bombardements sur Ghaza survenaient à Kharkiv ou à Lviv, si les tentes éventrées par les frappes abritaient des familles ukrainiennes déplacées, si une jeune femme enceinte, privée d’insuline, mourait en silence dans un hôpital assiégé, l’émotion diplomatique serait mondiale, unanime, fulgurante. Et pour cause : face à la souffrance humaine, il ne saurait y avoir de double standard sans y perdre son âme.


Dimanche 18 mai 2025. Une nouvelle « opération terrestre » a été déclenchée par l’armée israélienne dans le nord et le sud de Ghaza. Elle s’inscrit dans le cadre de l’opération baptisée Les chariots de Gédéon – un nom biblique, presque mythologique, dont la portée symbolique interroge quand elle accompagne une réalité faite de tentes pulvérisées, de cadavres d’enfants et de quartiers rasés. Dans la seule journée de dimanche, au moins 50 Palestiniens ont été tués selon les équipes de secours, dont plus de vingt dans la zone refuge d’Al-Mawasi, au sud de Khan Younès. À Jabālīyah, au nord, sept personnes sont mortes dans un bombardement ciblant une maison.


Ce ne sont plus des chiffres. Ce sont des absences


Le ministère de la Santé de Ghaza, bien que contrôlé par le Hamas, publie des bilans que l’ONU juge crédibles : plus de 53 000 morts depuis octobre 2023, majoritairement des civils. Une hécatombe. Un drame humain d’une densité inédite dans le monde contemporain.


Mais ce qui se joue aujourd’hui dépasse l’addition macabre. Car ce conflit est devenu le miroir d’un malaise plus vaste : celui d’une communauté internationale qui, après avoir condamné la guerre en Ukraine avec une fermeté exemplaire, demeure paralysée devant un autre théâtre de guerre pourtant reconnu par la Cour internationale de justice comme comportant un « risque avéré de génocide ».


Silence ou complicité ?


L’association JURDI (Juristes pour le respect du droit international), dans une démarche rare et grave, a mis en demeure l’Union européenne pour « carence fautive ». Elle appelle Bruxelles à dénoncer publiquement les crimes en cours, à suspendre ses relations avec Israël, à sanctionner ses responsables politiques. Ce que les États démocratiques n’ont pas fait pour Ghaza, ils l’auraient sans hésiter entrepris si Kiev était sous blocus, si des enfants ukrainiens mouraient de faim en pleine Europe.


Le médecin humanitaire Raphaël Pitti, habitué des zones de guerre, d’Irak au Congo, parle désormais ouvertement de génocide. Il décrit l’enfer de l’hôpital de Khan Younès : amputations massives, tri médical inversé, enfants mourant d’inanition ou de blessures infectées. Le cœur se serre à l’écoute de ces témoignages. Son cri d’alarme, comme celui de nombreux soignants et ONG, se heurte à l’indifférence diplomatique, voire à la criminalisation du témoignage humanitaire.

 

Ghaza, terrain d’expérimentation d’un effondrement moral ?


En bloquant totalement l’entrée de l’aide humanitaire depuis le 2 mai, le gouvernement israélien a provoqué une situation de famine dans l’enclave. Des enfants consomment leurs réserves de graisse, parfois jusqu’à puiser dans leur muscle cardiaque. Le médecin parle d’un stade 4 de dénutrition, d’une famine sciemment entretenue. Une guerre contre la vie.


L’armée israélienne déclare vouloir « prendre le contrôle » de plusieurs zones de Ghaza. Les perspectives évoquées dans la presse israélienne ou britannique, une partition de l’enclave en zones militaires contrôlées, des déplacements forcés, laissent entrevoir non plus une guerre contre le Hamas mais un projet de domination territoriale à long terme. Le risque d’annexion, évoqué par plusieurs analystes, n’est plus une fiction.


Le droit comme barrière, ou comme alibi ?


Sur les bancs de la justice internationale, des mots lourds ont été prononcés. La Cour pénale internationale a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre de Benyamin Netanyahou pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Des ministres israéliens comme Bezalel Smotrich, aux propos ouvertement hostiles à la population palestinienne, sont toujours en fonction. Pourtant, la plupart des capitales occidentales continuent de parler de « droit d’Israël à se défendre », sans prendre la mesure de l’effondrement humanitaire, moral et juridique qui se joue à Ghaza.


L’Espagne, seule parmi les grandes puissances européennes, a appelé à des pressions accrues pour « arrêter le massacre ». Le sommet arabe de Bagdad a, lui aussi, exhorté à une action internationale immédiate. Mais les sanctions n’arrivent pas. L’isolement d’Israël, réel, reste sans effet.


Une question d’humanité, pas d’alignement


Et si c’était l’Ukraine ? Si des quartiers entiers étaient rasés sous les bombes russes ? Si des maternités étaient détruites ? Si les gouvernements occidentaux continuaient à soutenir diplomatiquement, militairement ou économiquement l’agresseur ? Le scandale serait absolu. Ghaza ne demande pas de compassion sélective. Elle réclame une cohérence morale.


On peut refuser l’antisémitisme, condamner les attaques du 7 octobre, et dans le même mouvement s’opposer à un châtiment collectif contre une population piégée. La critique d’un État ne saurait devenir taboue. Car ce qui est en jeu à Ghaza, ce n’est pas seulement le sort d’un territoire exsangue. C’est notre rapport commun au droit, à la justice, à l’idée même de civilisation.


Quand le droit est piétiné, quand la famine est utilisée comme arme, quand la souffrance devient invisible, il ne reste plus qu’un mot pour nommer ce basculement : la barbarie.

Et celle-ci n’a pas de drapeau.



*Article paru dans le n°66 de notre magazine Iqra.



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