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Lumière et lieux saints de l'Islam, à la découverte des mosquées du monde (n°65) - La Mosquée de la Nâqa à Tripoli


Au cœur de la vieille Tripoli, dissimulée dans un entrelacs de ruelles chargées d’histoire et de parfums d’encens, la mosquée de la Nâqa veille. Ses murs, discrets mais habités, semblent porter sur leurs épaules les secrets du désert et le bruissement des siècles. Elle est l’aînée des mosquées de Tripoli, la plus ancienne, la plus silencieuse et pourtant la plus habitée de toutes : par les récits, par la foi, par la poussière sacrée du temps.


Construite il y a plus de douze siècles, à une époque où le soleil du Maghreb se levait sur l’expansion spirituelle de l’islam, la mosquée de la Nâqa ne se donne pas tout de suite. Elle se mérite. Il faut s’en approcher avec lenteur, passer devant les échoppes de joailliers et de marchands d’étoffes, frôler les fondouks endormis, et alors, à l’ombre d’une ruelle étroite, elle se dévoile, humble, ramassée, mais infiniment présente.


Le mystère de la chamelle


Nul ne sait vraiment à quelle « chamelle » renvoie son nom. Les récits divergent, se tressent et se répondent. Certains disent que c’est celle du calife Omar ibn al-Khattab, qui s’agenouilla et refusa de repartir, marquant ainsi l’emplacement choisi par la Providence. D’autres l’attribuent à une bête offerte à Amr ibn al- Âs, conquérant de la Libye, chargée d’or et d’argent pour expier les fautes des citadins. Et d’autres encore parlent de celle du calife al-Muizz li-Dîn Allah, venue d’Égypte, portant les joyaux de la dynastie fatimide,  chamelle offerte à un peuple en guise de bénédiction. Vérité historique ou parabole du désert ? Qu’importe : c’est la lumière qui compte, celle qui s’est arrêtée ici.


Une architecture entre ciel et sable


La mosquée de la Nâqa fut édifiée avant même la célèbre mosquée d’al-Azhar. Elle s’étendait jadis sur neuf cents mètres carrés, une grandeur pour l’époque, et portait alors le nom de « mosquée des Dix ». Aujourd’hui, son architecture frappe par son enracinement dans la tradition libyenne, belle dans son effacement, majestueuse dans sa modestie.


Son espace intérieur s’organise en 49 sections, dont 42 sont coiffées de coupoles basses, comme si les cieux avaient voulu s’incliner plus près de la prière des hommes. Point de coupole centrale écrasante ici, mais un ensemble de petites bulles blanches comme des palpitations spirituelles.


Le Sahn, ou cour intérieure, ne se trouve pas au centre comme dans les mosquées omeyyades classiques, mais décalé sur le côté, comme un souffle discret. Là, un réservoir d’eau de pluie, des arcades reconstruites après les guerres, un espace d’ablution en retrait, couvert d’un plafond voûté. L’organisation tout entière semble murmurer : avance, purifie-toi, et entre en silence.



Les colonnes de la salle de prière, au nombre de trente-cinq, sont inégales, réemployées, comme venues d’un passé romain recyclé par l’islam. Les pierres, irrégulières et polies, racontent plusieurs empires, plusieurs langues, plusieurs prosternations.


Le mihrâb, modeste, est encadré de deux petites colonnes et surmonté d’une plaque de marbre. Aucune surcharge : seulement la double attestation gravée « Lâ ilaha illâ Allah, Mohamed Rasūl Allah »,  déposée là comme un souffle qui n’a jamais cessé.


Un minaret pour les siècles


Le minaret, de forme carrée et modeste en hauteur, inspiré de celui de Kairouan, s’élève en silence. Il ne cherche pas à dominer mais à témoigner. Un dôme en lanterneau, à base hexagonale, s’élève à son sommet, selon la description laissée par al-Tîdjânî, ce voyageur du XIVe siècle dont les mots résonnent encore : "haut plafond, minaret élégant, colonnes d’antiques cités…"


Cette mosquée a connu les bombardements espagnols de 1510, puis une restauration salvatrice en 1610 par le gouverneur ottoman Safar Day, qui y grava une plaque commémorative. D'autres réparations eurent lieu après la Seconde Guerre mondiale, comme si le destin refusait de la voir sombrer dans l’oubli.


Une mémoire dans la poussière


Aujourd’hui, la mosquée de la Nâqa est prise dans l’étreinte des échoppes, des immeubles fatigués, des voix du souk. Et pourtant, dès que l’on y pénètre, tout bruit extérieur s’efface. On y entend la respiration du monde ancien, la trace d’une prière dite au lever du jour, au temps où Tripoli n’était encore qu’un port d’escale pour les caravaniers du désert.


La lumière y tombe en oblique, par les fenêtres étroites, et éclaire des tapis rouges usés par les prosternations. Ici, le Coran est récité à voix basse, les marches du minbar craquent doucement, les colonnes suintent d’humidité ancienne. Et l’on comprend alors que cette mosquée n’est pas un vestige : elle est un témoin, une vivante.




*article paru dans le n°70 de notre magazine Iqra.



                         

 

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