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Regard fraternel (n°55) - Sur les hauteurs de Carthage, le souffle de Saint-Cyprien



Saint-Cyprien, dites-vous ? Certains penseront aussitôt à ce joyau de la Côte Vermeille, cette paisible station balnéaire du sud de la France, prisée pour sa douceur de vivre et son art de recevoir. Mais laissez ces images de cartes postales pour l’été.  Regard Fraternel vous emmène sur l’autre rive de la Méditerranée. Là, sur une colline discrète s’élevant à 57 mètres d’altitude, bordée à l’est par les eaux claires du golfe de Tunis, se dresse un lieu chargé d’histoire et de mémoire. Entre Sidi Bou Saïd, La Marsa et Le Kram, Carthage dévoile un autre Saint-Cyprien, celui des origines, de la foi et du martyre.


Sur les hauteurs de Carthage, la mémoire de Saint-Cyprien


C’est ici, au cœur de ce littoral chargé de siècles, que se trouve la basilique du Saint-Cyprien de Carthage. Un lieu oublié de beaucoup, mais qui parle encore à ceux qui tendent l’oreille. Un lieu où la pierre garde la trace des prières anciennes, et où l’horizon mêle ciel et mer, spiritualité et mémoire.


Sur cette colline de Saïda, également appelée colline de Sainte Monique, que s’élèvent les vestiges de la basilique de Saint-Cyprien. À deux pas de l’Institut des Hautes Etudes Commerciales, le site offre une vue imprenable sur le golfe de Tunis et le Djebel Boukornine. Construite à la fin du IVe ou au début du Ve siècle, la basilique rend hommage à Cyprien, évêque de Carthage, mort en martyr en 258. Découverte en 1915, elle est aussi associée à une scène émouvante de la vie de Saint Augustin, qui aurait laissé sa mère Monique en prière à cet endroit avant de quitter la ville en secret.


Une attribution encore débattue


L’édifice, long de 80 mètres et large de 36, s’étendait sur plus de 2 500 m². Il se distinguait par ses sept nefs et ses quatorze travées, séparées par des rangées de colonnes. Le sol était recouvert de dalles funéraires sous lesquelles reposaient des fidèles, et un autel se dressait sous un ciborium dont les bases sont encore visibles. L’ensemble architectural témoigne de l’importance du christianisme à Carthage dans l’Antiquité tardive. Mais les fouilles menées au début du XXe siècle, notamment à l’occasion du congrès eucharistique de 1930, ont été peu rigoureuses, rendant l’interprétation des vestiges difficile aujourd’hui.


Si de nombreux chercheurs s’accordent à identifier cette basilique comme celle dédiée à Saint-Cyprien, l’absence de preuve épigraphique laisse subsister des doutes. Certains historiens évoquent l’existence de deux ou trois édifices consacrés au saint, situés hors des murs de l’ancienne Carthage, notamment au lieu-dit des Mappales et vers La Marsa. Saint Augustin lui-même parle dans ses sermons de deux autels liés à Cyprien : l’un au lieu de son martyre, l’autre à l’endroit de son inhumation. Malgré les débats, la basilique de la colline de Saïda reste un témoin majeur du christianisme africain, au croisement de l’histoire, de la foi et de la mémoire.


Qui était Saint Cyprien de Carthage ?


Né au début du IIIe siècle à Carthage, dans l’actuelle Tunisie, Cyprien appartient à une famille aisée, païenne. Brillant orateur, il mène une carrière de professeur de rhétorique dans sa ville natale. Sa vie bascule lorsqu’il rencontre un prêtre chrétien nommé Cécilius. Touché par son message, il abandonne la culture païenne, se plonge dans la lecture des Évangiles et distribue ses biens aux pauvres. Peu après son baptême, vers 248 ou 249, il est choisi comme évêque de Carthage, malgré l’opposition de plusieurs prêtres de sa communauté.


Peu après son élection, l’empereur Dèce, en l’an 250déclenche une violente persécution contre les chrétiens. Cyprien choisit de se mettre à l’abri temporairement, non par peur, mais une mesure stratégique afin de garantir la continuité de son autorité spirituelle tout en évitant une arrestation immédiate. Pendant cette période, Cyprien s'est retiré à Curubis, une ville située sur la côte d'Afrique du Nord, dans l'actuelle Tunisie, probablement à proximité de Carthage, pour y mener une existence discrète.


Il continuait à adresser de nombreuses lettres aux fidèles pour les soutenir. Il est rapidement confronté à un dilemme majeur,que faire des lapsi, ces chrétiens ayant renié leur foi sous la contrainte ? Faut-il leur permettre de réintégrer la communauté après pénitence, et selon quelles modalités ? À travers cette crise, Cyprien défend une vision d’unité de l’Église centrée sur l’évêque, socle de la communion et garant de l’eucharistie. Il convoque un concile à Carthage en 251 pour trancher en faveur d’une réconciliation des repentis, en accord avec l’évêque de Rome, Corneille, ce qui provoque un schisme parmi les rigoristes.


Le Saint Cyprien et la lutte pour l’unité chrétienne


À l’époque où Cyprien guide l’Église de Carthage depuis l’exil, la division frappe à la fois sa communauté et l’Église de Rome. À Carthage, certains prêtres s’opposent à sa nomination, tandis que d’autres se révoltent sur la question des chrétiens qui ont apostasié. À Rome, la situation n’est pas meilleure. Des élections pour un nouvel évêque se soldent par un schisme entre ceux qui choisissent Corneille et ceux qui soutiennent Novatien. Cyprien, fidèle à Corneille, se trouve au centre de ce tumulte.


C’est dans ce contexte qu’il rédige son livre sur l’Unité de l’Église catholique. Dans ce texte, il défend l’idée qu’une Église locale ne peut être véritablement catholique sans être unie à l’ensemble des autres Églises, en particulier à celle de Rome. Pour lui, l’unité est le pilier de l’Église du Christ. Une Église divisée risquerait de donner l’impression qu’il existe plusieurs Églises, alors qu’il n’en existe qu’une, composée de toutes les Églises locales.


Lors de son retour à Carthage, Cyprien organise un Concile avec les évêques de la région. Il y expose ses idées sur l’unité et la communion des Églises, cherchant à restaurer la paix et la cohésion au sein du peuple chrétien. En raison de cela, ses prises de position ne sont pas sans conséquences. À partir de 255, un conflit majeur oppose Cyprien au pape Étienne sur la question du baptême des hérétiques. Tandis que Rome refuse le re baptême, Cyprien défend la tradition africaine du re baptême, ce qui entraîne des tensions jusqu’à frôler la rupture avec Rome.


La persécution de l’empereur Valérien en 257 n’épargne pas Cyprien. Après une période d’exil à Curubis, il revient à Carthage, où il est condamné à mort et décapité le 14 septembre 258. Les « Acta proconsularia », qui relatent son procès et son martyre, restent un témoignage poignant sur la foi et le courage des premiers martyrs chrétiens.


Sur cette colline battue par les vents, peut-être que les prières de Monique pour son fils Augustin ont croisé l’esprit du martyr Cyprien. Aujourd’hui encore, entre ciel et mer, l’Église catholique n’a pas oublié ce témoin de l’unité et de la foi, mort pour son Seigneur.



*Article paru dans le n°62 de notre magazine Iqra.



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