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Regard fraternel (n°58) - La fin de vie : les religieux de nouveau sur le front éthique



Alors que le projet de loi sur la fin de vie revient à l’Assemblée nationale, les positions des responsables de cultes, déjà exprimées avec force ces dernières années, refont surface. Dans un climat politique tendu autour de la légalisation possible de l’aide active à mourir, les responsables juifs, chrétiens, musulmans et bouddhistes rappellent que le respect de la vie, jusqu’à son terme naturel, est un principe éthique et spirituel non négociable.

 

Tribune de la Conférence des responsables de culte en France sur la fin de vie

 

Dans ce concert d’interrogations, les représentants des cultes en France (CRCF), catholique, protestant, orthodoxe, juif, musulman et bouddhiste, se sont exprimés d’une seule voix. Par le biais d’une tribune commune publiée le 15 mai, Ils ont exprimé avec gravité leur opposition à un texte qu’ils estiment ouvrir la voie à une rupture profonde avec les fondements éthiques de notre société. Leur déclaration met en avant cinq points essentiels :


1 - Un langage trompeur : Le terme « aide à mourir » masque la réalité de l’acte, qui consiste à administrer volontairement une substance létale, brouillant ainsi le débat éthique et moral.2- Une rupture avec l’essence du soin : L’introduction de cette pratique dans le Code de la santé publique dénature la médecine, dont la mission première est de soulager sans provoquer la mort.


3- Des garanties insuffisantes : La procédure actuelle permet à un seul médecin d’autoriser l’acte létal, sans évaluation collégiale ni examen psychiatrique approfondi, ce qui est contraire aux recommandations internationales.


4- Une menace pour les plus vulnérables : Ce « droit » peut exercer une pression morale sur les personnes âgées, malades ou handicapées, qui risquent de se sentir un « fardeau », au détriment du développement des soins palliatifs.


5- Un déséquilibre entre autonomie et solidarité : La loi privilégie une autonomie individuelle absolue, sans consultation des proches ni accompagnement psychologique ou spirituel, ce qui fragilise la dimension relationnelle fondamentale de la vie humaine.

 

Cette tribune est signée par Antony Boussemart (Union bouddhiste de France), Mgr Dimitrios (Assemblée des évêques orthodoxes), Chems-Eddine Hafiz (Grande Mosquée de Paris), Haïm Korsia (Grand Rabbin de France), le pasteur Christian Krieger (Fédération protestante de France) et Mgr Éric de Moulins-Beaufort (Conférence des évêques de France). Cette tribune témoigne d’une convergence éthique forte, au-delà des différences confessionnelles.

 

Une opposition interreligieuse fondée sur la dignité humaine


Pour ces responsables religieux, la légalisation de l’aide à mourir marquerait un tournant majeur, non plus accompagner la vie jusqu’à son terme, mais autoriser un geste qui provoque délibérément la mort. Ils y voient une atteinte à la dignité humaine, une inversion de la mission médicale, et un affaiblissement du devoir de solidarité envers les plus fragiles.


Ils dénoncent également un glissement sémantique préoccupant. Le vocabulaire choisi « aide à mourir » masque, selon eux, la réalité : celle d’une euthanasie ou d’un suicide assisté, c’est-à-dire un acte létal. Ce langage adouci participe à désensibiliser l’opinion publique et à brouiller les repères éthiques. Pour eux, dire la vérité sur les mots est une condition de sincérité dans le débat démocratique.

 

Soigner ou faire mourir : une ligne rouge éthique

 

Au-delà des principes religieux, les arguments avancés sont aussi anthropologiques et médicaux. Le soin, rappellent-ils, n’a jamais pour but de provoquer la mort. Une chose est de laisser mourir, dans la dignité et sans acharnement thérapeutique. Une autre est de faire mourir, en introduisant un geste létal dans la relation soignant-soigné.


Ce basculement modifierait profondément la mission du médecin et pourrait créer des tensions insupportables pour les professionnels de santé. Le risque est aussi de détourner les efforts des autorités publiques. Pourquoi investir dans les soins palliatifs, l’accompagnement psychologique et la formation à l’écoute, si une solution radicale, rapide et moins coûteuse devient légale ?

 

Un devoir de fraternité envers les plus vulnérables.

 

Les responsables religieux soulignent également un risque de pression sociale implicite. Dans une société marquée par l’individualisme, l’obsession de la performance et la peur de la dépendance, les personnes âgées, handicapées ou malades pourraient se sentir « de trop ». Le fait que la loi propose, même sous conditions, la possibilité de hâter la mort pourrait faire naître un sentiment de culpabilité chez ceux qui ont besoin d’aide : ne deviennent-ils pas un fardeau pour leurs proches ou pour la société ?

 

Une parole de conscience dans une République laïque.

 

Dans un contexte laïque, certains pourraient contester la légitimité d’une telle prise de parole religieuse. Mais les responsables de l’islam, du judaïsme et du christianisme en France rappellent qu’ils s’expriment ici non pas au nom d’une vérité révélée, mais en tant que gardiens d’une éthique partagée, enracinée dans l’histoire humaine. Leur parole est une alerte de conscience, adressée à tous les citoyens, croyants ou non.

 

Ils plaident pour une autre voie, à savoir un engagement national en faveur des soins palliatifs, une meilleure formation des soignants à l’écoute de la détresse morale, une société qui protège les plus vulnérables au lieu de leur proposer, même par compassion, d’en finir.


Le vote est prévu le 27 mai. D’ici là, les débats se poursuivent, mais les fondations du vivre-ensemble sont en jeu. La France est appelée à choisir non seulement un cadre juridique, mais une vision de l’humanité.


Pour qu’on n’oublie pas

 

Ce n’est pas la première fois que les voix religieuses s’élèvent ensemble. Le 28 octobre 2019, au cœur des jardins du Vatican, une déclaration inédite avait été signée par des responsables religieux issus des trois grandes religions abrahamiques. Réunis à l’initiative du rabbin Avraham Steinberg et sous l’égide de l’Académie pontificale pour la Vie, ces leaders affirmaient leur refus catégorique de l’euthanasie et du suicide assisté, tout en appelant à renforcer l’accès aux soins palliatifs. Le texte, présenté à l’époque au défunt pape François, avait marqué une rare convergence interreligieuse sur une question bioéthique majeure.

 

Les signataires, parmi lesquels figuraient Mgr Vincenzo Paglia, Kyai Marsudi Syuhud (Indonésie) et un représentant du patriarcat de Moscou, déclaraient alors : « L’euthanasie est un acte direct, délibéré et intentionnel de mettre fin à la vie humaine. Elle est moralement et religieusement inacceptable. »


Le document soulignait aussi que personne, ni médecin, ni infirmier, ni proche, ne devait être contraint de participer à de tels actes, invoquant le droit fondamental à l’objection de conscience. À rebours de l’aide à mourir, les religions présentes appelaient à une mobilisation massive en faveur des soins palliatifs, de l’accompagnement de la douleur, et de la présence humaine jusqu’au dernier souffle.


Dans une autre déclaration commune en novembre 2022, Lesresponsables cultes en France avaient déjà affirmé que : « une société humaine est jugée à la manière dont elle traite ses membres les plus fragiles. »


Aujourd’hui encore, ces traditions religieuses rappellent que chaque instant de vie conserve sa dignité, même dans la souffrance. Elles défendent une vision fondée sur la compassion, la solidarité, l’accompagnement, et non sur l’interruption volontaire de l’existence. Plus qu’un simple avis moral, c’est une manière d’honorer le vivant jusque dans son ultime fragilité.

 

C’est en cela, affirment les  responsables religieux depuis, que la compassion ne doit pas se transformer en abandon. La véritable fraternité consiste à accompagner, à soulager, à tenir la main. Non à supprimer la vie pour éteindre la souffrance.

 

Dans les couloirs de l’Assemblée, le débat s’annonce tendu. Mais au cœur des mosquées, des synagogues et des églises, une conviction traverse les frontières : la vie, don divin, ne se retire pas, elle s’accompagne jusqu’au bout.



*Article paru dans le n°66 de notre magazine Iqra.




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