Sabil al-Iman (n°69) - Fêter Dieu en temps troublé : une foi qui danse sans arrogance
- Guillaume Sauloup
- 20 juin
- 8 min de lecture

Dans un monde agité par la peur, la haine et la méfiance,
Le croyant fête en silence, en offrande et en confiance.
Quand les tambours du mal résonnent, lui, il fredonne.
Quand les nations vacillent, lui, il s’incline et s’illumine.
Car la fête, pour lui, n’est pas une transe :
C’est un témoignage, une présence, une lumière, une danse.
La fête dans l’islam : une spiritualité, pas une frivolité.
Fêter Dieu, en islam, ce n’est pas suspendre la foi dans une euphorie mondaine. C’est enraciner sa joie dans le tawhid, l’unicité de Dieu, source de toute grâce. Les deux grandes fêtes musulmanes : l’Aïd El-Fitr et l’Aïd El-Adh’ha, ne sont pas des pauses festives sans âme, mais des prolongements du sacré, des instants où le cœur se rappelle l’essentiel.
L’Aïd El-Fitr vient clore un mois de jeûne, non pour fêter l’abstinence, mais pour remercier Dieu de nous avoir épurés. L’Aïd El-Adh’ha, lui, célèbre le sacrifice d’Ibrahim, modèle d’obéissance absolue. La fête n’est jamais une fin en soi, mais un retour à Dieu, comme une halte spirituelle dans l’ascension intérieure.
Une joie humble : entre gratitude, miséricorde et simplicité.
Le Prophète ﷺ n’a jamais réduit la fête à un étalage de richesses ou à des excès sonores. Il a enseigné une joie modeste, équilibrée, orientée vers l’Autre. Partager un sourire, un repas, une prière, une main tendue. Dans un monde de démesure, l’islam propose une joie habillée de pudeur, voilée de foi.
C’est dans ce sens que le Coran dit :
« Dis : C’est par la grâce de Dieu et Sa miséricorde qu’ils doivent se réjouir. Cela vaut mieux que tout ce qu’ils amassent. »
(Sourate Yunus, 10 :58)
Il ne s’agit pas d’interdire la joie terrestre, mais de l’éclairer d’un sens divin. Réjouis-toi, oui. Mais réjouis-toi de ta relation à Dieu, de ton pardon reçu, de ta place dans l’histoire du Salut.
Fêter dans les larmes du monde : la douceur d’une foi lucide
Comment fêter quand le monde souffre ? Quand des enfants pleurent sous les bombes, quand des peuples entiers vivent en exil ? Peut-on encore danser quand les cœurs sont dévastés ?
L’islam ne propose pas une foi aveugle à la douleur. Il propose une foi douce, consolante, prophétique. Le Prophète ﷺ a connu la faim, le deuil, la trahison. Pourtant, il souriait. Il offrait des dattes, un mot tendre, un espoir.
Fêter, alors, ce n’est pas ignorer la souffrance : c’est y répondre par une lumière intérieure. C’est dire à l’orphelin : tu es invité. Au délaissé : tu n’es pas oublié. C’est faire de sa maison un abri, de sa table un jardin, de son cœur un refuge.
Les fêtes comme résistances : un acte de foi contre le désespoir.
Dans les temps troublés, célébrer Dieu devient un acte de résistance. C’est dire au monde : malgré vos injustices, je choisis la paix. Malgré vos fractures, je célèbre l’Unité. Malgré vos clameurs, je reste dans la louange.
Les tyrans peuvent enfermer les corps, mais ils ne peuvent interdire les fêtes du cœur. Le croyant danse, non par provocation, mais par gratitude. Il nargue le désespoir avec un Takbīr, il défie le mal par un sourire, il refuse de céder aux ténèbres.
Une éthique de la fête : entre verticalité et horizontalité
Dans l’islam, fêter implique deux axes :
Verticalité : se connecter à Dieu, à travers la prière, les invocations, la gratitude.
Horizontalité : se tourner vers les autres, les pauvres, les voisins, les marginaux.
Ainsi, l’Aïd n’est complet que s’il inclut la zakat El-Fitr, le partage du sacrifice, les salutations, les embrassades, le pardon mutuel.
Fêter, c’est réconcilier. C’est réparer les liens familiaux, offrir son pardon avant d’offrir son plat. Un Aïd sans paix intérieure est un banquet sans saveur. Un Aïd sans réconciliation est une fête amputée.
Et si l’on ne peut pas fêter ? Une foi qui survit à l’absence.
Il est des Aïd sans famille, des Aïd sans enfants, des Aïd sans argent. Le Prophète ﷺ l’a connu. Et pourtant, même dans l’exil, il a prié. Il a partagé ce qu’il n’avait pas.
Car la fête, dans l’islam, n’est pas conditionnée par le confort, mais par l’intention. Si tu n’as pas de viande, offre un sourire. Si tu n’as pas de maison, offre un mot de paix. Si tu n’as pas de voix, élève ton cœur.
L’exemple prophétique : joie, prière et pudeur.
Le Prophète ﷺ ne fêtait jamais dans l’ostentation. Il priait en groupe, saluait les enfants, visitait les malades. Il portait son plus beau vêtement sans extravagance. Il disait :
« Chaque communauté a sa fête, et voici la nôtre. » (Rapporté par El-Bukhari)
Il rappelait ainsi que la fête est un marqueur identitaire, mais jamais un prétexte à l’arrogance. Fêter, ce n’est pas se croire supérieur, mais se savoir redevable.
Et la France dans tout ça ? Une foi musulmane, une joie citoyenne.
Dans notre contexte français, où les fêtes musulmanes ne sont pas toujours reconnues, célébrer Dieu devient un acte discret mais puissant. Il ne s’agit pas de revendiquer, mais de rayonner sans fracas. Montrer que la foi ajoute une touche de fraternité, non d’exclusion.
Quand un musulman invite son voisin non-musulman à goûter son couscous d’Aïd, il crée une passerelle d’humanité. Quand une mairie permet aux enfants musulmans d’être absents le jour de l’Aïd, c’est la République qui s’illumine d’un geste de respect.
Fête-toi de l’intérieur, que ton cœur suive la danse de ta foi.
Laisse les tambours du monde battre leurs peurs : toi, bats des ailes vers le Roi.
Car le croyant est une chandelle : il éclaire même dans l’obscur.
Et même lorsque tout vacille, son Takbīr murmure.
Offre un sourire à celui qui pleure, une datte à celui qui a faim,
Et dans ta joie silencieuse, fais entendre le chant divin.
Ne fuis pas ce monde : illumine-le.
Ne combats pas dans la haine : fête dans la foi.
Car fêter Dieu… c’est espérer encore, quand tout semble s’éteindre parfois.
*Article paru dans le n°69 de notre magazine Iqra.
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