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Sabil al-Iman (n°81) - La justice en islam : nom divin et devoir humain

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Au commencement était l’équité,

et au cœur de l’équité, la foi.

Car Dieu, dans Sa perfection,

a fait de la justice un de Ses Noms

et de l’injustice un voile

qui éloigne de Sa lumière.

Et l’homme, dépositaire

de ce souffle divin, ne peut prétendre

aimer Dieu sans aimer la justice.


Par Cheikh Khaled Larbi

Ainsi commence le chemin de l’Iman, celui des consciences droites, où chaque geste, chaque mot, chaque regard devient une balance entre le vrai et le faux, entre le licite et l’illicite, entre la passion et la raison.


 La justice, nom de Dieu et fondement de la foi


Dans la tradition islamique, la justice n’est pas seulement une vertu morale : elle est un attribut divin, un Ism min Asma’ Allah el-Husna, l’un des Noms les plus beaux de Dieu : el ‘Adl, Le Juste. Dire qu’Allah est el ‘Adl, c’est affirmer que toute création, toute épreuve, toute récompense procède d’un ordre parfait où rien n’est arbitraire.


 « Certes, Dieu ordonne la justice, la bienfaisance et la solidarité. »

SOURATE EN-NAHL, 16 :90


Ce verset, souvent cité lors des prêches du vendredi, est considéré comme le résumé de toute l’éthique islamique. Il fonde la cohérence entre la foi intérieure (imân), la loi révélée (Shari’a) et l’action sociale (Ihsân). Autrement dit, croire sans être juste, c’est mentir à sa foi. L’imam el-Ghazali écrit dans Ihyâ’ ‘Ulûm Ed-Din : « La justice est la racine de toute vertu, et l’injustice la source de tout mal. »


L’islam n’est donc pas une religion du ritualisme aveugle, mais une pédagogie de la justice : prier, jeûner, donner, ne prennent sens que si ces actes purifient le cœur de l’injustice.


Justice cosmique, justice sociale La justice divine se manifeste d’abord dans l’équilibre de la création. Le Coran dit :

« Le Miséricordieux a élevé le ciel et établi la balance

afin que vous ne transgressiez pas dans la mesure. »

SOURATE AR-RAHMAN, 55 :7-8


Cette “balance” (Mizan) symbolise l’ordre du monde : le ciel, les mers, les cycles, les cœurs, tout obéit à une justice naturelle. L’homme, en perturbant cet équilibre, par la cupidité, la guerre ou la corruption, rompt la symphonie du cosmos. Mais cette justice cosmique a une résonance sociale : le croyant est invité à la reproduire dans sa vie quotidienne. Être juste, c’est être équilibré dans ses jugements, ses relations, ses paroles.


Le Prophète ﷺ a dit : « Les juges sont de trois sortes : deux iront en enfer et un seul ira au Paradis, celui qui juge avec justice. » (Abu Dawoud) Dans la vie de tous les jours, cela signifie que chacun d’entre nous est juge : le père entre ses enfants, l’enseignant entre ses élèves, le commerçant entre l’intérêt et la conscience, l’imam entre le texte et la réalité. Chaque décision équitable est un acte de foi ; chaque injustice est une trahison de l’esprit du Coran.


 La justice du Prophète ﷺ : modèle d'équilibre et de compassion


 Le Prophète Mohammed ﷺ n’était pas un juge au sens moderne, mais un réalisateur de la justice spirituelle. Son autorité n’écrasait pas, elle élevait. Son tribunal n’était pas un lieu de punition, mais d’éducation.

Un jour, un notable de Quraych demanda que l’on épargne une femme noble coupable de vol. Le Prophète répondit fermement : « Par Dieu, si ma propre fille Fatima avait volé, je lui aurais appliqué la même peine. » (Bukhari, Muslim) Par ces mots, il posa un principe universel : nul n’est au-dessus de la justice.


Mais dans le même temps, il priait pour les coupables, invitant au pardon, à la miséricorde, à la réforme intérieure. Il ne jugeait pas seulement les actes, il soignait les âmes. C’est là toute la grandeur de la justice prophétique : elle ne sépare jamais la rigueur de la douceur, ni la loi de la compassion.


Entre droits de Dieu et droits des hommes


L’un des piliers de la pensée islamique est la distinction entre Houqouq Allah (les droits de Dieu) et Houqouq el ‘ibad (les droits des hommes). Les premiers concernent la foi, le culte, l’obéissance à Dieu ; les seconds, les relations sociales, les contrats, la dignité humaine.


Le Prophète ﷺ a dit : « Dieu pardonnera ce qui relève de Ses droits, mais ne pardonnera pas ce qui relève des droits des hommes tant que la victime n’aura pas pardonné. » (Bukhari). Ce hadith bouleverse notre perception : Dieu est plus sévère pour les injustices entre humains que pour les fautes envers Lui-même.


Voler, humilier, médire, trahir une confiance sont des crimes spirituels bien plus lourds que manquer une prière, car ils brisent le tissu social de la justice. Ainsi, le musulman n’est pas jugé seulement par ses prières, mais par sa capacité à être juste dans le quotidien : juste dans ses affaires, juste dans ses jugements, juste dans ses émotions. L’imam ‘Ali disait : « Le trône de Dieu se renverse chaque fois qu’un faible est opprimé. »


 La justice comme acte d'adoration


Dans la vision islamique, la justice n’est pas qu’un devoir civique, c’est un acte d’adoration, (‘ibada). Rendre justice, c’est imiter Dieu dans Son attribut d’al-‘Adl, c’est manifester sur terre un reflet de Sa sagesse.


Chaque fois qu’un croyant agit équitablement, il devient le miroir du Nom divin, et sa décision devient une prière silencieuse.


C’est pourquoi le Calife ‘Omar ibn el-Khattab, que les historiens appellent el-Fârûq, “celui qui distingue le vrai du faux », pleurait la nuit en se disant : « Si une mule trébuche sur le chemin de Bagdad, j’en serai responsable devant Dieu. » Cette parole résume toute la conception islamique de la responsabilité : la justice n’est pas un pouvoir, c’est un poids sacré.


Les dérives de la justice humaine


L’histoire musulmane, comme toute histoire humaine, n’a pas été exempte de dérives. Certains ont instrumentalisé la loi divine pour asseoir un pouvoir terrestre. Mais l’islam authentique distingue clairement la Shari’a spirituelle (chemin vers Dieu) de la loi politique (outil du pouvoir).


Lorsque la justice devient vengeance, elle cesse d’être islamique. Lorsque la loi sert à humilier, elle contredit la miséricorde du Coran. Le Calife ‘Ali, confronté à des opposants, refusa de les juger pour hérésie, disant : « Ce sont nos frères qui ont commis une erreur. »


Cette parole devrait hanter chaque tribunal, chaque mosquée, chaque conscience : Mieux vaut une justice lente qu’une justice cruelle.


Justice, miséricorde et modernité


Aujourd’hui, dans nos sociétés laïques et pluralistes, certains pensent que la justice divine et la justice républicaine s’opposent. C’est une erreur profonde. Car les deux reposent sur la même racine : la dignité de l’être humain. La Déclaration universelle des droits de l’homme proclame : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. » Et le Coran dit :


« Nous avons honoré les fils d’Adam. »

SOURATE EL-ISRA’, 17 :70


Même combat, même espérance : protéger l’homme contre la barbarie, la haine et la domination. La justice islamique ne s’oppose donc pas à la République, elle l’enrichit d’une dimension transcendante : le juge républicain rend un verdict, le croyant rend des comptes. L’un s’adresse à la loi, l’autre à Dieu, et quand les deux convergent, la société devient juste, apaisée, lumineuse. nition : protéger même l’oppresseur contre lui même.


La justice, un nom qui sauve les peuples


Chaque civilisation s’effondre lorsque la justice meurt. L’histoire regorge d’empires tombés non par la pauvreté, mais par l’injustice : Rome, Cordoue, Bagdad, Grenade.


Le Prophète ﷺ disait : « Une société peut survivre à l’impiété, mais non à l’injustice. » C’est pourquoi les sociétés modernes doivent, elles aussi, se rappeler que la justice n’est pas une option politique mais une exigence spirituelle.


Et c’est là que la voix des imams, des éducateurs, des consciences éclairées doit se faire entendre : pour dire que la foi n’est pas la soumission aveugle, mais la droiture du cœur.


 La justice est la balance de Dieu sur Terre.

Elle ne pèse pas les fortunes, mais les intentions ;

Elle ne juge pas les apparences, mais la sincérité.

Celui qui agit avec équité s’élève au rang des prophètes,

Et celui qui trahit la justice s’éloigne de la lumière de la foi.

La justice n’est pas un mot : c’est une prière vivante.

Elle est la respiration de l’âme croyante,

Le miroir où se reflète la beauté du Nom divin al-‘Adl.

Et dans ce monde où tout vacille,

Elle demeure le seul équilibre qui ne ment pas :

L’équilibre du cœur entre la raison et la compassion.



*Article paru dans le n°81 de notre magazine Iqra.



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