Récits célestes (n°49) - « Awal Mouharram », une mémoire spirituelle et diversité culturelle
- Guillaume Sauloup
- il y a 9 heures
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Un nouveau souffle traverse le monde musulman avec l’arrivée du mois de Mouharram, marquant le début de l’an 1447 de l’Hégire. Plus qu’un simple repère calendaire, c’est une mémoire vivante de la foi, de la migration prophétique, du renouveau spirituel et des traditions qui l’accompagnent. Les musulmans célèbrent le Nouvel An hégirien, marquant le premier jour du mois de Mouharram et le début de l’an 1447 du calendrier islamique. Aujourd’hui encore, cette date est honorée par des rites particuliers dans chaque pays musulman, entre prières, récits spirituels, partage de douceurs, vœux échangés... le 1er Mouharram est également un jour férié dans de nombreuses nations. Il symbolise le recueillement, le renouveau spirituel, mais aussi l’introspection, une occasion précieuse pour dresser le bilan de l’année écoulée, tant sur le plan personnel que collectif.
Ce qu’il faut savoir
L’origine du calendrier hégirien remonte au califat de Omar ibn al-Khattab (qu’Allah l’agrée). Avant son intervention, les musulmans ne disposaient pas d’un système calendaire fixe, ils se repéraient à l’aide de grands événements pour désigner les années, comme « l’année de l’Éléphant », sans référence chronologique précise.
Ce n’est qu’au cours de la troisième ou quatrième année de son règne qu’un besoin urgent de clarification s’imposa. Abou Moussa al-Ashâari, alors gouverneur de Bassorah, écrivit à Omar pour lui signaler la confusion engendrée par l’absence de datation officielle dans les correspondances.
Le calife Omar (qu’Allah l’agréé) consulta les compagnons du Prophète (paix et bénédictions sur lui), et tous s’accordèrent pour faire de l’Hégire, la migration du Prophète de La Mecque à Médine, le point de départ du calendrier islamique. Ce choix fut officialisé dix-sept ans après cette émigration, donnant naissance au calendrier hégirien, toujours en vigueur dans le monde musulman et débutant chaque année au 1er Mouharram.
Beaucoup ignorent certains faits essentiels concernant le Nouvel An hégirien, notamment la durée de l’année. En effet, l’année hégirienne est plus courte d’environ dix jours que l’année grégorienne. Cela s’explique par le fait que les mois du calendrier musulman comptent entre 29 et 30 jours, tandis que ceux du calendrier grégorien en comptent généralement entre 30 et 31, à l’exception de février, qui dure 28 jours, ou 29 tous les quatre ans.
Origines et sens des noms des mois hégiriens
Mouharam : Ce mois tire son nom de l’interdiction
du combat, car il fait partie des mois sacrés mentionnés dans le Coran, durant lesquels la guerre était proscrite.
Safar : Son nom viendrait du fait que les habitants de La Mecque quittaient leurs foyers, laissant leurs maisons vides, « ṣafra », en partant pour la guerre ou les expéditions.
Rabi al-Awwal : Littéralement « le premier printemps », ce mois était nommé ainsi en lien avec la saison, bien que le calendrier lunaire ne soit pas fixe par rapport au cycle des saisons.
Rabi al-Thani (ou Rabi al-Akhir) : Ce mois succède à Rabi al-Awwal et fait également référence au printemps.
Joumada al-Oula : Ce mois correspondait à l’hiver, période où l’eau avait tendance à geler. Le mot « jamad » signifie d’ailleurs « gel » en arabe.
Joumada al-Akhira (ou Joumada al-Thaniya) : Il suit le précédent et se situe également en hiver.
Rajab : L’un des mois sacrés durant lesquels les Arabes préislamiques cessaient les hostilités, par respect des traditions ancestrales.
Chaâban : Ce nom viendrait du verbe « tachaâba », qui signifie « se disperser », car les tribus se dispersaient à la recherche de l’eau ou reprenaient les conflits interrompus durant Rajab.
Ramadan : Dérivé du mot « ramad » (chaleur intense), ce mois est surtout connu comme celui du jeûne prescrit en islam, bien qu’à l’origine il désignait une période de forte chaleur.
Chawwal : Ce mois, qui suit le Ramadan, doit son nom à la baisse de lait des chamelles, appelée « tashwil ». Il est aussi associé à la célébration de l’Aïd al-Fitr.
Dhou Al-Qaïda : Mois de trêve, pendant lequel les Arabes s’abstenaient de faire la guerre ou d’entreprendre de longs voyages.
Dhou al-Hijja : Mois du hajj (pèlerinage à La Mecque), que les Arabes accomplissaient déjà avant l’islam, et que les musulmans ont institué comme cinquième pilier de la religion.
Comment célèbre-t-on le Nouvel An musulman ?
Le Nouvel An musulman, ou Ras as-Sanah al-Hijriyah, n’est pas aussi spectaculaire que l’Aïd al-Fitr ou l’Aïd al-Adha, mais il revêt une profonde importance spirituelle et culturelle. C’est un moment de recueillement, de méditation et de renouveau, partagé en famille et au sein de la communauté.
Dans plusieurs pays arabes, les célébrations mêlent prières, traditions culinaires et gestes symboliques. En Égypte, par exemple, on assiste à des rassemblements autour de récits sur l’Hégire, accompagnés de douceurs sucrées et de plats comme la saniyet el rouqaq. En Libye, la veille, appelée al-Kabira, est festive, avec un plat emblématique : le couscous au ftasha, symbole de solidarité. En Tunisie et en Algérie, la commémoration revêt des formes familiales et gastronomiques variées, tandis que dans les pays du Golfe, elle reste plus sobre et essentiellement religieuse.
En Arabie Saoudite, le Nouvel An musulman est avant tout un moment de grande solennité religieuse. Des prières spéciales sont récitées dans les mosquées, notamment à La Mecque et à Médine, où les fidèles se recueillent avec ferveur. Les sermons soulignent le sens de l’Hégire comme symbole de foi, de patience et de renouveau. Les célébrations publiques y sont sobres, centrées sur la spiritualité et la prière en famille.
À Bahreïn, la coexistence entre sunnites et chiites confère au Nouvel An musulman une dimension particulière. Les sunnites marquent cette date par des prières et des sermons, tandis que les chiites se préparent à Achoura, une célébration majeure qui suit cette période. Des rassemblements variés, dans les mosquées comme dans les espaces publics, témoignent de cette richesse spirituelle et renforcent le tissu social du royaume.
Dans les pays musulmans non arabes, la fête revêt également des formes riches et variées. En Indonésie, pays abritant la plus grande communauté musulmane au monde — le Nouvel An est marqué par des processions nocturnes appelées Takbiran, des concours de récitation du Coran et des prières collectives. En Turquie, bien que le calendrier grégorien soit officiellement en usage, le Nouvel An hégirien reste honoré dans les mosquées, notamment à Istanbul. Au Sénégal, la célébration s’inscrit dans les traditions soufies, avec des veillées de prière, des chants spirituels et le partage de mets conviviaux.
Bien que les formes varient d’un pays à l’autre, le Nouvel An musulman demeure un moment universel de foi, de mémoire et de renouveau, où se conjuguent spiritualité, traditions et solidarité.
Malgré l’importance du calendrier hégirien, qui marque des événements spirituels majeurs, la plupart des pays à majorité musulmane utilisent également le calendrier grégorien dans leur vie quotidienne. Cette double référence témoigne d’une volonté de coexistence et d’ouverture, où traditions religieuses et réalités contemporaines s’entrelacent pour favoriser le vivre-ensemble.
*Article paru dans le n°70 de notre magazine Iqra.
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