Regard fraternel (n°61) - De l’Andalousie à La Mecque, à cheval
- Guillaume Sauloup
- 15 juin
- 7 min de lecture

Après huit longs mois d’un périple éprouvant à travers plusieurs continents, trois Espagnols convertis ont atteint La Mecque d’une manière profondément symbolique, à cheval, comme leurs ancêtres andalous autrefois. Vêtus de l’habit sacré de l’ihram, ils ont versé des larmes de joie en voyant la Kaaba, embrassant l’aboutissement d’un rêve nourri par la foi et la mémoire. Leur voyage, marqué par la douleur des sacrifices et la force d’une détermination inébranlable, illustrant la puissance d’un lien spirituel intemporel, un pont entre passé et présent, entre histoire et dévotion.
Le voyage d’une foi et d’un héritage retrouvés
En septembre 2024, sous le ciel d’Andalousie où la civilisation musulmane a laissé ses empreintes profondes, un groupe singulier de cinq pèlerins s’élance pour un périple aussi audacieux que spirituel. À leur tête, Abdullah Hernández Mancha, un Espagnol converti depuis trente ans, porte en lui un rêve forgé dans la foi et la mémoire : celui de renouer avec les anciens pèlerins d’El-Andalus qui, il y a plus de cinq siècles, traversaient l’Europe enfourchant leurs chevaux arabes pour atteindre La Mecque.
Le départ, loin d’être une simple aventure, est un serment. Abdullah, à 60 ans, fait le vœu sacré de marcher sur les traces de ses ancêtres, guidé par la certitude que « À celui qui se confie à Allah, Allah lui suffit ». Ils ne prennent ni avion ni voitures, refusant la facilité moderne, pour honorer un chemin sacré, parfois oublié, où la patience, la persévérance et la foi se mêlent dans une même intensité.
Les cinq cavaliers, trois espagnols, un marocain et un mauritanien, en selle sur leurs chevaux arabes, nobles et fiers, entament leur marche dans la lumière douce d’un matin du sud de l’Espagne, l’ancienne terre d’Andalousie. Leurs voix s’élèvent en un chant ancien :
« لبيك اللهم لبيك، لبيك لا شريك لك لبيك، إن الحمد والنعمة لك والملك، لا شريك لك »
L’écho d’un passé de plusieurs siècles, vibrant dans le cœur de chaque témoin de leur passage.
La traversée de l’Europe
Le voyage les mène à travers quatorze pays, de l’Espagne jusqu’aux confins du Moyen-Orient. Leur route les conduit d’abord en France, puis en Italie, un des moments clés de leur voyage. C’est à Rome qu’ils rencontrent un saoudien, dont la bienveillance va bouleverser leur destinée. Touché par leur projet, ce dernier s’engage à les aider dans les démarches administratives pour obtenir les autorisations nécessaires pour entrer en Arabie Saoudite, terre saine du Prophète (paix en bénédiction sur lui), et accomplir leur pèlerinage.
Cette rencontre providentielle lève un obstacle majeur, car sans ces autorisations, leur rêve aurait pu s’arrêter là. Grâce à ce soutien, ils reprennent la route avec un espoir renouvelé, traversant ensuite la Slovénie, la Bosnie, le Kosovo, la Croatie, le Monténégro, la Macédoine, la Bulgarie, la Grèce, puis la Turquie. Chaque pays leur offre une hospitalité touchante, même face aux difficultés d’un hiver rude, et aussià la fatigue qui s’accumulait.
Chaque étape est une victoire silencieuse. Chaque halte, une occasion d’échanger avec des âmes bienveillantes, d’entendre les encouragements de ceux qui croisent leur route. Les réseaux sociaux deviennent un lien entre eux et un monde qui les suit, admiratif et parfois incrédule.
L’arrivée en Syrie et l’accueil à Ramtha en Jordanie
Le voyage n’est pas seulement un défi physique, c’est aussi un témoignage de foi et de fraternité. Après avoir traversé la Turquie, ils entrent en Syrie, où ils accomplissent une halte spirituelle majeure en priant à la prestigieuse Mosquée des Omeyyades à Alep. Leur passage est accueilli avec respect et admiration, symbole vivant d’un héritage commun.
Quelques semaines plus tard, ils atteignent la frontière jordanienne, à Ramtha, où l’accueil est exceptionnel. Le maire Ahmed Khazaaleh et la population locale les reçoivent avec chants, distribution de douceurs et hospitalité chaleureuse. Pour ces pèlerins, cette étape est une véritable renaissance après des mois de route éreintante. La générosité et la fraternité dont ils sont entourés leur donnent la force de poursuivre les derniers kilomètres.
L’ultime traversée et l’accomplissement du Hadj
Accompagnés d’une caravane de soutien, ils franchissent la frontière saoudienne après environ quelques mois de périple. Le climat, désormais brûlant, ne fait qu’accentuer la puissance spirituelle du moment. À cheval, ils approchent enfin de La Mecque, ils l’aperçoivent de loin, le cœur empli d’émotion et d’une immense gratitude.
Puis enfin, l’ultime étape, l’entrée sur les terres sacrées. À La Mecque, le jeune Saoudien rencontré à Rome les attendait, fidèle à sa promesse. Dès leur arrivée, un accueil solennel leur a été réservé. Des voix s’élevèrent, chantant Talaa el-badrou âlayna, le même chant qui, autrefois, saluait l’entrée du Prophète à Médine. Les pèlerins, bouleversés, se laissaient envahir par l’émotion.
Puis on leur remit l’autorisation tant espérée, celle d’entrer dans l’enceinte de la Kaaba et les terres sacrées. En découvrant le document, leurs yeux se remplissent de larmes. Ils pleuraient d’émotion, de gratitude, de foi. Après des mois de marche, de fatigue et d’espérance, ils étaient enfin arrivés.
Du Tawaf autour de la Kaaba au séjour à Mina, de Muzdalifahà Arafat, ils accomplissent chaque rite avec un cœur apaisé. À Arafat, leurs mains s’élèvent vers le ciel, portant les prières de tous ceux qu’ils avaient croisés sur la route.
Le Hadj enfin accompli. Un Hadj mabrouk, pur, et sincère.Qu’Allah accepte leur pèlerinage,et qu’Il fasse de leur voyage une lumière pour tous les cœurs en quête de spiritualité.
Un pèlerinage, accompli comme il y a des siècles auparavant,ce n’est pas seulement un exploit physique, c’est larésurrection d’un chemin oublié, une leçon de foi, de patience et de persévérance. Abdullah et ses compagnons ont incarné la mémoire vivante de la tradition andalouse, rappelant à chacun que la spiritualité puise parfois sa force dans le dépassement de soi et le retour aux racines.
*Article paru dans le n°69 de notre magazine Iqra.
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