Le Hadith de la semaine (n°62) - La fin de la vie se mesure à l’aune de la Miséricorde divine, non à celle de la souffrance innée
- Guillaume Sauloup
- il y a 6 heures
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D’après Anas ibn Malik (qu’Allah l’agrée), le Prophète (que la prière d'Allah et Son salut soient sur lui) a dit :
« Qu’aucun d’entre vous ne souhaite la mort en raison d’un malheur qui l’a frappé. S’il doit absolument formuler un vœu, qu’il dise : "Ô Allah, fais-moi vivre tant que la vie est un bien pour moi, et fais-moi mourir lorsque la mort est un bien pour moi". »
Hadith rapporté par Al-Bukhari et Mouslim
Ce noble hadith prophétique renferme une vision existentielle profonde, émanant de la sagesse prophétique. Celle-ci interpelle l’homme dans ses moments de fragilité et d’accablement pour lui rendre son équilibre et raffermir son cœur. Elle établit un lien entre la nature humaine, qui gémit sous le poids de la souffrance, et l’adoration, qui s’attache à la Miséricorde divine. Entre le désir de l’homme d’échapper à l’épreuve et la conscience qu’il a que sa vie n’est pas une propriété individuelle, mais un dépôt sacré régi par la loi de la préservation et de la sollicitude divine.
Ainsi, l’interdiction de souhaiter la mort ne constitue ni une répression des sentiments ni un déni de la souffrance. Il s’agit plutôt d’une éducation sublime des émotions humaines, afin qu’elles ne soient pas entraînées vers une décision prise dans un moment de faiblesse, suivie de regrets et d’amertume. Le hadith n’interdit pas la tristesse, car elle est une disposition innée, ni la supplication, car elle est une adoration. Il offre plutôt à l’homme un moyen licite pour se tourner vers son Seigneur : demander le bien, où qu’il se trouve, et s’en remettre à Lui avec humilité devant Sa science absolue, en disant : « Ô Allah, fais-moi vivre tant que la vie est un bien pour moi, et fais-moi mourir lorsque la mort est un bien pour moi. » Une invocation qui enseigne que le bien ne se mesure pas à la douleur, ni ne se réduit à l’instant présent, mais se reconnaît à la lumière de la science infaillible d’Allah et de Sa Miséricorde ininterrompue. Allah le Très-Haut dit : « Il se peut que vous détestiez une chose alors qu’elle est un bien pour vous, et il se peut que vous aimiez une chose alors qu’elle est un mal pour vous. Allah sait, alors que vous ne savez pas » [El-Baqara, 216]. Celui qui sait que le bien peut se cacher dans ce qu’il déteste s’en remet à son Seigneur, se satisfait de Son décret et ne laisse pas la douleur du moment obscurcir son espérance en la Miséricorde.
Cependant, lorsque nous examinons aujourd’hui, avec objectivité et sérieux, le phénomène de « l’euthanasie », que certains appellent avec insistance à légaliser, nous réalisons que la question est bien plus profonde qu’une simple affaire de fatwas ou de réponses morales. Il s’agit d’un être humain dont la poitrine s’est rétrécie, dont l’espoir s’est évanoui et qui n’a trouvé personne autour de lui pour le supporter. Nous sommes confrontés à une question douloureuse : qu’est-ce qui pousse l’homme, cette créature dotée de raison et façonnée dans la plus parfaite des constitutions, à considérer la mort comme un repos, préférable à la vie ? Qu’est-ce qui pousse cet amant de la vie, qui déteste la mort et la souffrance, à choisir la mort et abandonner la vie ?
La réponse, que nous pourrions éviter par amertume ou par négligence, est que nous avons échoué. Nous avons échoué en tant que sociétés n’ayant pas su offrir un environnement bienveillant aux personnes âgées, ni un véritable réconfort aux malades. Nous avons échoué en tant que système de santé réduisant l’homme à un numéro de lit avant de lui demander : « Souhaitez-vous continuer ? ».
Nous avons échoué en tant que familles, transformant « la grand-mère malade » en fardeau au lieu d’en faire la mémoire et l’âme du foyer. Nous avons même échoué en tant que prédicateurs, nous contentant de répéter des exhortations à la patience sans tendre une main sincère et concrète pour apaiser les cœurs, réjouir les âmes et soulager les esprits. Comme si l’homme, une fois affaibli, cessait d’être un être social, alors qu’en réalité, c’est dans sa faiblesse qu’il a le plus besoin de sociabilité.
Ainsi, le cri des partisans de l’euthanasie est souvent, en réalité, un appel à l’aide étouffé qui dit : « Je ne trouve plus personne pour me supporter… Supportez-moi dans l’absence et le souvenir. »
Le hadith que nous avons sous les yeux ne répond pas à ce cri par l’indifférence, mais le guide avec douceur vers une porte plus miséricordieuse : celle de l’invocation, de la confiance, de la bonne opinion en Allah et du renoncement à la décision au profit de Celui qui ne se trompe jamais dans Ses choix. Il ne réprimande pas l’homme, mais l’enveloppe dans sa faiblesse et lui dit : « Ne prends pas dans un moment de douleur une décision que tu pourrais regretter si la situation change. ». Celui qui souhaite la mort aujourd’hui pourrait bien se réjouir demain d’une vie qu’il n’aurait jamais imaginée. Combien d’êtres humains ont traversé une crise insupportable avant que le soulagement ne vienne d’où ils ne l’attendaient pas, réalisant alors que l’épreuve n’était pas une malédiction, mais une porte vers l’élévation et le retour au sens. Allah le Très-Haut ne cesse de répéter : « Certes, avec la difficulté vient la facilité. » [Ach-Charh, 6]. Rien ne dure éternellement : ni l’adversité, ni le chagrin. Ce ne sont que des étapes par lesquelles Allah éprouve le cœur de Ses serviteurs pour les rapprocher de Lui, non pour les en éloigner.
La logique spirituelle de ce hadith ne concerne pas uniquement les adeptes des religions révélées. Elle rejoint une dimension humaine et rationnelle simple : l’homme ne perçoit pas la situation dans son ensemble. Il juge à travers le prisme de la douleur et de la pression, tandis que d’autres dimensions lui échappent : sa famille, sa mission, son impact, voire même son évolution spirituelle, qui ne s’accomplit parfois que par l’endurance. Le Messager d’Allah (paix et bénédictions sur lui) a dit : « Étonnante est l’affaire du croyant ! Tout ce qui lui arrive est un bien… S’il est touché par un bienfait, il est reconnaissant, et c’est un bien pour lui. S’il est touché par une épreuve, il est patient, et c’est un bien pour lui. » [Rapporté par Mouslim]. Ainsi, toute épreuve qui frappe le croyant, même si elle assombrit son existence, est un bien dans la balance d’Allah, pourvu qu’il reste satisfait, confiant et plein d’espoir en son Créateur.
Mais une autre question essentielle se pose : si le hadith interdit de souhaiter la mort, cela signifie-t-il qu’il faille maintenir un patient dans un coma irréversible ou lui imposer des traitements douloureux sans espoir de guérison ? La Grande Mosquée de Paris, avec un équilibre modéré et mesuré, a répondu clairement à cette question à plusieurs reprises : l’euthanasie n’est pas licite en Islam, car elle constitue une transgression contre la propriété d’Allah, qui dit : « Et ne vous tuez pas vous-mêmes, car Allah est Miséricordieux envers vous. » [An-Nisa’, 29]. La législation protège l’homme contre lui-même et contre autrui, faisant de sa patience une clé vers la Miséricorde. Cependant, la Grande Mosquée de Paris souligne que cela n’oblige pas à recourir à des traitements inutiles ni à prolonger la souffrance sans bénéfice médical avéré. Si des médecins compétents et dignes de confiance attestent qu’un cas est désespéré et que le traitement ne changera rien à l’issue, cela ne relève pas d’un acte de mise à mort, mais de l’abandon d’un traitement futile. De plus, maintenir un patient sous respirateur artificiel, malgré son coût exorbitant, constitue un gaspillage de ressources qui pourraient servir le défunt après sa mort sous forme d’aumônes continues, ou bénéficier à ses héritiers et à autrui. Or, la législation appelle à préserver les biens, elle interdit leur dilapidation inutile et encourage les décisions fondées sur l’utilité et l’intérêt.
Elle rappelle également que la réponse aux demandes « d’euthanasie » ne doit pas se limiter à l’interdiction, mais passer par la reconstruction de l’être humain pour qu’il aime la vie, par l’édification d’une société qui prend soin de ses malades, et par la mise en place d’un système de soins qui ne fasse pas de la mort un choix rationnel.
La personne âgée que personne ne visite, le patient traité comme un simple numéro, le jeune handicapé à qui l’on n’offre ni espoir ni projet de vie… Ces êtres ne désirent pas la mort, mais aspirent à se sentir aimés, à donner un sens à leur existence même dans leur faiblesse. Et lorsque l’homme échoue à trouver cela dans son entourage, le hadith prophétique vient comme un appel céleste lui rappeler que la vie n’est pas vaine, que la souffrance n’est pas dénuée de sens et qu’il n’est pas seul parmi les siens.
Telle est l’essence de la foi et de l’humanité : enseigner aux gens à ne pas souhaiter la mort, non par crainte de celle-ci, mais par respect pour la vie et par conviction que le bien peut se trouver là où nous ne le voyons pas, que la Miséricorde peut prendre la forme de la patience, et que la fin n’est pas dictée par un instant de désespoir, mais par la sagesse d’un Seigneur qui ne se trompe jamais dans Son plan.
Aussi, ne souhaitez pas la mort, mais souhaitez le bien où qu’il soit… Et laissez la porte ouverte à la Miséricorde d’Allah, car elle est plus vaste que vous ne l’imaginez.
*Article paru dans le n°66 de notre magazine Iqra.
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