Regard fraternel (n°62) - Croix-Rouge et enseignements humanitaires de l’Islam, quelles convergences ?
- Guillaume Sauloup
- 22 juin
- 8 min de lecture

Proclamés à Vienne en 1965 puis réaffirmés à Genève en 1986, les sept principes fondamentaux du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge constituent une éthique humanitaire universelle. Humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité et universalité structurent une action guidée par la solidarité et le respect de la dignité humaine. Ces valeurs transcendent les frontières culturelles et religieuses, rejoignant celles des grandes traditions spirituelles, dont l’islam.
Dans ce contexte, il est pertinent de s’interroger sur la manière dont les principes de la Croix-Rouge entrent en résonance avec les enseignements du Prophète de l’islam (paix et bénédictions sur lui). Ce questionnement ouvre la voie à un dialogue fécond entre l’humanitarisme moderne et l’héritage prophétique, révélant des convergences souvent inattendues autour d’un idéal commun : soulager la souffrance sans distinction.
La tradition prophétique, un humanisme enraciné
La tradition prophétique incarne un humanisme enraciné, fondé sur une éthique de la compassion et du respect inconditionnel de la dignité humaine. Bien avant l’émergence du droit international humanitaire, le Prophète Mohamed (paix et bénédictions sur lui) prônait déjà le secours aux blessés, le soin aux plus vulnérables et la justice pour tous, indépendamment de la race, de la tribu ou de la croyance.
Son enseignement, à la fois verbal et pratique, affirme que toute vie humaine mérite protection, et que toute souffrance appelle à une solidarité active. Cette vision dépasse le cadre strictement religieux pour devenir une véritable philosophie de l’action humanitaire, où la miséricorde devient engagement concret, au cœur même des relations sociales.
Ainsi, la mission contemporaine de la Croix-Rouge fondée sur les principes d’humanité, d’impartialité et de neutralité, rejoint en profondeur l’enseignement prophétique. Il s’agit, dans les deux cas, d’un humanisme universel, qui converge vers un idéal partagé : celui de l’aide sans discrimination et de la protection de toute vie humaine.
Cet humanisme ne se limite pas à une posture morale, il se traduit dans les actes. La tradition prophétique insiste sur l’impératif de soulager la détresse humaine, comme en témoigne ce hadith : « Celui qui soulage un croyant d’une détresse de ce monde, Allah le soulagera d’une détresse au Jour du Jugement. » (Sahih Muslim).
Ce principe de solidarité active, où chaque geste de secours porte une dimension spirituelle, s’inscrit dans la même logique que celle défendue par le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Il incite à agir sans attendre de retour, avec désintéressement et impartialité.
Convergences entre la Croix-Rouge et les valeurs islamiques
Si la Croix-Rouge repose sur des principes universels tels que l’humanité, l’impartialité, la neutralité et l’universalité, ces mêmes valeurs trouvent un écho profond dans les fondements de l’islam. Le respect de la dignité humaine est une valeur centrale commune. En islam, elle se manifeste notamment à travers le concept d’ar-Rahma (la miséricorde), omniprésent dans le Coran et dans l’enseignement prophétique.
Le Prophète Mohamed (paix et bénédictions sur lui) a toujours encouragé le secours à toute personne en détresse, sans distinction de religion, d’origine ou de statut social. Il disait : « Soyez miséricordieux envers ceux qui sont sur la terre, et Celui qui est dans le ciel sera miséricordieux envers vous. » (Rapporté par Abou Dawoud et at-Tirmidhi).
Ce devoir de solidarité s’exerce sans calcul, dans une logique de justice et de compassion, pleinement en accord avec la mission de la Croix-Rouge qui porte secours sans discrimination. De même, les règles de l’islam relatives aux conflits appelées « adab al-harb » imposent un cadre éthique strict, interdisant de s’en prendre aux civils, exigeant le soin des blessés et le respect des prisonniers. Ces principes rejoignent ceux de la neutralité et de la protection pendant les guerres, chers au Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
Par ailleurs, la zakat (aumône obligatoire) et la Sadaqa (don volontaire) sont des formes concrètes d’action humanitaire en islam. Elles visent à répondre aux besoins des plus démunis, à soulager les souffrances et à soutenir les populations vulnérables. Cette dynamique rejoint profondément l’objectif de secours universel promu par la Croix-Rouge.
Ces passerelles entre engagement religieux et action humanitaire prennent également forme sur le terrain. De nombreux pays musulmans participent activement au sein du Mouvement international à travers les Sociétés du Croissant-Rouge. Des projets communs voient le jour dans des contextes de catastrophes naturelles, de crises sanitaires ou d’accueil de réfugiés. Des ONG musulmanes, inspirées à la fois par les valeurs spirituelles et les normes humanitaires universelles, incarnent cette complémentarité à travers des initiatives concrètes.
Ces convergences invitent à dépasser les clivages perçus souvent perçues entre les sphères religieuse et humanitaire, pour reconnaître une dynamique commune : celle de venir en aide à autrui au nom d’un principe supérieur de justice, de compassion et d’humanité.
Regards croisés sur une éthique humanitaire partagée
L’idée que les principes de la Croix-Rouge soient compatibles avec l’islam n’est pas seulement soutenue par des penseurs musulmans. Elle est également reconnue par de nombreuses figures du monde juridique et humanitaire international, qui considèrent l’islam comme une véritable source du droit humanitaire contemporain.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) lui-même reconnaît l’existence de nombreux points de convergence entre le droit islamique et le droit international humanitaire (DIH). Dans plusieurs publications officielles, il souligne que les règles islamiques comportent des normes protectrices comparables à celles des Conventions de Genève, notamment en matière de protection des civils, de traitement des prisonniers et de soin aux blessés. Comme le précise le CICR (2004) : « Le droit islamique contient des normes protectrices qui convergent avec les Conventions de Genève, telles que l’interdiction de tuer des non-combattants, de mutiler ou de refuser les soins aux blessés. »
Cette reconnaissance favorise un dialogue ouvert avec les autorités religieuses et juridiques des pays musulmans, facilitant ainsi la mise en œuvre du DIH dans les contextes où l’islam est prégnant. Le CICR mène régulièrement des échanges avec ces acteurs pour promouvoir ces valeurs partagées.
Du côté académique, plusieurs universitaires musulmans engagés dans le dialogue humanitaire rappellent que le droit islamique poursuit la même finalité que le DIH : la protection de la dignité humaine, y compris en temps de guerre.Le professeur Mohamed S. El-Awa souligne ainsi : « Le droit humanitaire islamique partage la même finalité que le DIH : protéger la dignité humaine même en période de conflit armé. » De son côté, le juriste M. Cherif Bassiouni affirme : « La jurisprudence islamique contient des règles visant à limiter les souffrances en temps de guerre, et nombre d’entre elles convergent avec le droit humanitaire international. »
La volonté du CICR de renforcer les ponts entre l’humanitarisme universel et les valeurs religieuses s’est traduite par l’organisation de colloques interreligieux. En 2013, une rencontre à Genève, en partenariat avec l’université islamique d’Al-Azhar, a permis de débattre du rôle des religions dans la protection des victimes de guerre. En 2017, un colloque international à Doha a réuni des représentants du CICR, d’Al-Azhar et d’ONG musulmanes pour renforcer la coopération autour des valeurs communes de l’action humanitaire.
Ces initiatives expriment pleinement l’esprit du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, dépasser les différences culturelles et religieuses pour promouvoir un secours impartial, neutre et universel, en parfaite résonance avec les valeurs fondamentales de l’islam. Dans les régions ravagées par les conflits, comme Gaza, où la détresse humaine est immense, cette mission humanitaire prend une dimension profondément vitale, appelant croyants et humanitaires à unir leurs forces au-delà des frontières et des croyances.
*Article paru dans le n°70 de notre magazine Iqra.
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