Lumière et lieux saints de l'Islam, à la découverte des mosquées du monde (n°72) - Le grand Jâmi' Al-Salahi de Naplouse
- Nassera BENAMRA
- 29 sept.
- 8 min de lecture

Dans le dédale des ruelles anciennes de Naplouse, à l’extrémité orientale de la vieille ville, s’élève le grand Jâmiʿ al-Salahi. Ses pierres superposent les âges : temple romain, église byzantine, basilique franque, puis mosquée ayyoubide. Comme un manuscrit réécrit sans cesse, l’édifice raconte, à travers ses colonnes et ses voûtes, la longue traversée des peuples et des croyances.
Le visiteur remarque d’abord l’empreinte antique : colonnes de marbre cylindriques, chapiteaux cornisés, blocs monumentaux que les siècles n’ont pas usés. Les Byzantins y ajoutèrent la nef et son portail occidental. Puis les croisés, en 1167, bâtirent une grande église latine, « l’église de la Résurrection », et lui donnèrent son aile orientale aux piliers carrés et massifs.
Lorsque, en 1187, Salah Ed-Din El-Ayoubi reprit la cité, l’édifice fut orienté vers la prière : l’entrée occidentale fut close, un large mihrâb fut ouvert au sud, et les absides devinrent portes. Dès lors, le sanctuaire prit le nom de son libérateur : al-Jâmiʿ al-Salahi.

Ce lieu ne fut pas seulement maison de prière, mais aussi garant de justice. Dans sa cour orientale, un décret ayyoubide, gravé dans la pierre, rappelle que l’injustice devait être réparée : huile, blé, orge, restitués à leurs propriétaires, et protection garantie aux juifs de Naplouse, dont nul ne pouvait spolier les biens. Cette inscription, écho du « ʿahd Oumariya » de Jérusalem, inscrit dans la pierre même l’esprit de l’aman, la sécurité donnée aux gens du Livre.
Sous les Mamelouks, la salle de prière fut voûtée d’arcs brisés et de coupoles croisées. Le bâtiment devint aussi tribune officielle, où étaient proclamés les décrets du pouvoir. Puis les Ottomans enrichirent le sanctuaire : coupole devant le mihrâb, minaret octogonal sur base carrée, iwans majestueux élevés par le vizir Suleyman Pacha, minbar de marbre daté de 1607. Le lieu devint non seulement un espace de culte, mais un centre d’enseignement et d’accueil de nombreux savants et étudiants.
À l’intérieur, l’œil est frappé par l’équilibre entre les héritages : à l’ouest, les hautes colonnes romaines de marbre et de basalte ; et à l’est, les piles carrées héritées des croisés. Entre elles se déploie une nef large et rythmée, éclairée par des fenêtres ogivales. Le grand mihrâb domine le mur sud, flanqué de son minbar, et une vasque octogonale, aujourd’hui au nord-ouest, rappelle la purification rituelle qui prépare à la prière.

L’extérieur reflète la stratigraphie des siècles : façades romaines aux pierres monumentales, portails gothiques réinterprétés par les Ottomans, minaret octogonal dressé comme un phare au-dessus des toits de la vieille ville. Les murs portent encore les traces de réparations après le séisme de 1927, et les restaurations récentes ont rendu à l’édifice la netteté de son appareil et l’unité de son espace. Ainsi le Jâmiʿ al-Salahi ne se lit pas comme une simple succession de styles, mais comme une pédagogie de l’Islam : ne pas effacer, mais accueillir et réorienter. De temple en église, d’église en mosquée, il incarne la continuité d’une cité où les croyances ont changé sans que l’espace sacré cesse de battre au rythme de la prière.
Aujourd’hui encore, ses portes restent ouvertes, sans ticket ni protocole, comme pour rappeler que la vraie grandeur des sanctuaires réside dans leur capacité à unir mémoire, justice et spiritualité. À Naplouse, le grand Jâmiʿ al-Salahi demeure un cœur battant : mémoire des siècles et demeure de l’Unique.

*article paru dans le n°78 de notre magazine Iqra.
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