Focus sur une actualité (n°73) - Et soudain, un homme sans papiers défie les clichés
- Guillaume Sauloup
- il y a 6 jours
- 6 min de lecture
Par Noa Ory
Vendredi 17 octobre, 19 h 36, voie Georges-Pompidou, deux jeunes marchent le long de la Seine, filmant la ville. Quelques mètres plus loin, un passant chute dans l’eau sombre.Yacine, 29 ans, d’origine algérienne, sans papiers, hydrophobe depuis l’enfance, descend l’échelle et plonge. Sans réfléchir. Sans témoin. Sans attendre.
Pendant près d’un quart d’heure, il lutte pour maintenir à flot le corps inerte. Quand les pompiers arrivent, Yacine est à bout de forces, les lèvres bleues. À l’hôpital Cochin, il murmure : « J’espère que ça peut montrer que nous, les sans-papiers, on est des personnes bien. » Yacine n’a pas de papiers, mais il a accompli, par réflexe, un acte que la République peine à reconnaître : sauver une vie au nom d’une fraternité instinctive.Ce soir-là, la Seine n’a pas seulement charrié un corps, mais un symbole celui d’un homme venu d’ailleurs qui, en plongeant, a traversé un océan de préjugés. Et soudain, le réel s’invite : Un homme invisible dans les fichiers, illégal sur le papier, plonge dans la Seine et remet tout en perspective.Les faits sont simples ; leur portée, immense. A une époque où l’identité nationale se mesure à la frontière, Yacine rappelle que l’appartenance se prouve parfois par l’humanité la plus nue.
Ce geste désarme. Il déjoue la mécanique habituelle du « fait divers » politique, celui qui nourrit les peurs et légitime les murs. Ici, c’est l’inverse : le réel renverse le récit.Ce 17 octobre, difficile de ne pas entendre l’écho d’un autre 17 octobre, celui de 1961, où la Seine devint le tombeau de manifestants algériens jetés par la police française.Soixante ans plus tard, un Algérien y plonge pour sauver une vie. L’histoire ne se répète pas, elle se retourne.
Yacine a franchi la frontière entre la peur et la dignité ; la société, elle, peine à franchir celle qui sépare l’étranger du semblable. « Les sans-papiers », dans le discours public, restent une masse indistincte, menace pour les uns, enjeu humanitaire pour les autres.
Yacine rappelle qu’ils sont d’abord des visages, des histoires, des vertus.Ce qu’il a fait aurait pu être le geste d’un pompier ou d’un passant, mais il devient ici un rappel politique : l’héroïsme n’a pas de statut légal. À la différence de ceux qui spéculent sur l’identité nationale, Yacine ne l’a pas débattue : il l’a incarnée.
« C’était, a-t-il dit, soit on part ensemble, soit on revient ensemble »
Cette phrase dit tout. Yacine n’a pas seulement sauvé un homme : il a mis à nu la contradiction d’un pays qui proclame l’universalisme tout en hiérarchisant les appartenances.
Son histoire ne finira sans doute ni dans un décret de naturalisation, ni dans un discours du 14 Juillet.Mais elle restera comme un épisode de vérité : celui d’un étranger qui, en plongeant, a rendu à la France une leçon d’universalisme.
Car dans un temps saturé de discours sur « les bons Français » et « les autres », il a rappelé que le courage n’a pas de frontière, que la fraternité n’a pas besoin de papiers, et que parfois, ce sont les exclus qui sauvent la République de sa propre indifférence.
*Article à paraître dans le n°83 de notre magazine Iqra.
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