Le Hadith de la semaine (n°66) - Agression, racisme, négligence... Un hadith qui nous met tous face à nos responsabilités
- Guillaume Sauloup
- 23 juin
- 8 min de lecture

D’après Abdallah ibn Massoud (qu’Allah l’agrée), le Prophète ﷺ a dit : "Le serviteur ne bougera pas de devant son Seigneur, le Jour du Jugement avant qu'on ne l'interroge sur quatre choses : sur sa vie, comment il l'a passée, sur son savoir, ce qu'il en a fait, sur ses biens, d'où il les a acquis et comment il les a dépensés, et sur sa jeunesse, comment il l'a employée. ?" (Rapporté par At-Tirmidhi n°2417, authentifié par Al-Hâkim et Adh-Dhahabi).
Nous tournons la page d’une année hégirienne de nos vies, non pas comme on tourne des jours quelconques dans un carnet de dates, mais comme on ferme des chapitres dans le livre de la conscience. Une année marquée par de grandes épreuves, des douleurs profondes, notamment en Palestine, où l’agression contre Ghaza n’a pas seulement été une guerre, mais un effondrement manifeste du système de valeurs internationales.
Plus de 37 000 martyrs, dont la majorité sont des enfants et des femmes, ont perdu la vie sous un bombardement aveugle, qui ne fait pas de distinction entre maison et école, ni entre le bras d'une mère et un hôpital en ruines,
Et l’injustice n’a pas épargné nos sociétés européennes. Elle s’y est infiltrée sous des formes diverses de racisme et d’islamophobie de plus en plus décomplexées, laissant les musulmans dans un climat d’inquiétude, comme étrangers dans leurs propres pays, suspectés dans leur foi, surveillés dans leurs intentions.
C’est dans ce contexte que ce noble hadith nous confronte à l’essentiel : notre responsabilité. Le Jour dernier, nous ne serons pas interrogés sur nos slogans, mais sur notre réalité.
« Sa vie, comment il l'a passée ? »
La vie est soit un tableau de gloire, soit un tableau de déshonneur. C’est pourquoi le Prophète ﷺ a dit dans un autre hadith : « Profite de cinq choses avant cinq… » et parmi celles-ci, il mentionnait : « Ta vie avant ta mort. »
Voici donc une année écoulée. Où sont passées ses heures et ses jours ? Combien de temps perdu dans la négligence ou les querelles ? Combien d’occasions manquées de soutenir des causes justes ? Et que dire de la vie de ceux dont l’existence se termine sous les décombres ou dans des files d’attente oubliées ?
« Son savoir, qu’en a-t-il fait ? »
Le savoir ne se mesure pas au nombre de conférences ou de publications, mais à sa capacité à défendre la justice, soutenir les opprimés et dire la vérité avec clarté.
Dans cette voie, certaines institutions religieuses ont tenu leur rang. La Grande Mosquée de Paris s’est distinguée dès les premières heures de l’agression à Ghaza : elle a été une voix digne, défendant la cause palestinienne avec fermeté et responsabilité, évitant les débordements tout en refusant le silence complice. Elle a poursuivi, jusqu’à aujourd’hui, son engagement moral à travers ses prêches, ses communiqués, et son plaidoyer en faveur des principes universels de justice.
« Ses biens : d’où les a-t-il acquis et comment les a-t-il dépensés ? »
À une époque où les soupçons sont nombreux, où la gestion des fonds est scrutée, certaines structures ont montré une intégrité remarquable. La Grande Mosquée de Paris a su allier transparence financière et respect du cadre légal, tout en assumant pleinement son rôle social et religieux. L’argent n’est pas une propriété absolue, mais un dépôt confié par Allah, et le croyant sera interrogé deux fois à son sujet : d’où vient-il ? Où va-t-il ?
« Et sa jeunesse, dans quoi l’a-t-il usée ? »
La jeunesse est le souffle de la communauté. Le Prophète ﷺ a dit : "Tire profit de ta jeunesse avant ta vieillesse."
À Ghaza, les jeunes ont enterré leurs parents, puis se sont relevés pour déblayer les ruines avec un courage inouï.
En Europe, de nombreux jeunes musulmans vivent dans un climat de stigmatisation qui fragilise leur avenir. Trois drames récents nous le rappellent douloureusement : Hicham Miraoui, tué de cinq balles devant son magasin dans le sud de la France ; Aboubakar Sissoko, poignardé à mort dans une mosquée pendant sa prosternation ; Djamel Ben Jabbalah, délibérément écrasé par une voiture conduite par un extrémiste, en plein jour.
Ces crimes ne sont pas des faits isolés, mais les fruits d’un discours haineux de plus en plus banalisé. Le plus grave, c’est qu’à cette souffrance, s’ajoute parfois un silence glaçant. Face à cela, la Grande Mosquée de Paris ne s’est pas contentée de déplorer : elle a accueilli la prière funéraire d’Aboubakar Sissoko dans ses murs, marquant un moment fort d’engagement éthique et communautaire.
Elle a rappelé ainsi que la mosquée est le refuge des opprimés, la maison des oubliés, la voix de ceux qu’on ne veut pas entendre.
Et pourtant, la mosquée ne cache pas son inquiétude : ces drames pourraient laisser des séquelles psychologiques durables. Elle craint, à juste titre, que certains jeunes ne perdent foi dans la société, ou glissent vers l’isolement, voire vers l’extrémisme. Elle sait que l’équilibre fragile de la communauté n’est pas garanti, et que le danger de la chute sociale est réel. D’où son discours lucide, à la fois préventif et constructif.
La Grande Mosquée de Paris n’a cessé d’investir dans l’encadrement de la jeunesse, en les orientant vers la lucidité plutôt que la colère, vers la construction plutôt que le repli, vers l’appartenance éclairée plutôt que le déracinement identitaire.
Ce hadith prophétique n’est donc pas un simple discours pieux : il est un contrat de responsabilité. Il engage la conscience, interpelle les institutions, et exige des comptes à chacun. Car chacun portera sa part : la famille, l’école, les imams, les médias, l’État. Nul ne pourra dire : " Je ne savais pas. "
Allah dit : " Et Nous avons attaché à chaque homme son œuvre à son cou. " [Coran Al-isra' : 13]
Autrement dit : tout ce que nous faisons – ou laissons faire – nous suivra, et nous en répondrons.
Nous avons dit adieu à une année remplie d’épreuves et de difficultés, et nous n’avons pas le luxe de répéter nos erreurs. Il nous faut une nouvelle année, née de la conscience, fondée sur la responsabilité, et non sur les cendres de discours vides. Nous avons besoin d’une année pour revoir nos actions, nos institutions, et nos rôles, pour réajuster notre boussole des valeurs, afin de ne pas tourner le dos aux opprimés, de ne pas négliger l’importance de la responsabilité, et de ne pas repousser l’action jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Voici l'essence du hadith, et voici le message qui doit demeurer vivant en nous, tant que la foi demeure dans nos cœurs et que la conscience reste animée.
Sois le changement que tu veux voir. Avant que le temps ne t’emporte... et que le compte ne commence.
*Article paru dans le n°70 de notre magazine Iqra.
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