Regard fraternel (n°67) - L’interreligieux dans les Balkans pour coudre les déchirures
- Guillaume Sauloup
- 19 juil.
- 7 min de lecture

Prières partagées à Sarajevo, gestes fraternels à Lesbos, dialogues esquissés entre Rome et les Églises orthodoxes… Depuis le début de son pontificat, le pape François a multiplié les signes d’une volonté de réconciliation dans les Balkans, terre de blessures encore vives et de croyances entremêlées.
Longtemps considérée comme un laboratoire du vivre-ensemble entre confessions chrétiennes et musulmanes, l’ex-Yougoslavie a sombré, dans les années 1990, dans des violences fratricides où la religion a servi de marqueur identitaire. Après les génocides et les exils, peut-on encore croire à la paix par le dialogue interreligieux ? Dans les villes ravagées par les guerres, des initiatives émergent, fragiles mais déterminées, pour retisser les liens du commun. Témoignages et éclairages sur un espoir obstiné.
« Faire la paix est un travail artisanal, cela demande passion, patience, expérience, ténacité. Heureux sont ceux qui sèment la paix par leurs actions quotidiennes… Faire la paix est un travail à mener chaque jour, pas après pas, sans jamais se fatiguer. »
Le Pape François lors de sa visite
Au Balkan la religion était comme marqueur, plus que comme cause
En Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en Croatie ou en Serbie, l’appartenance religieuse s’est progressivement superposée aux appartenances nationales. Orthodoxes serbes, catholiques croates, musulmans bosniaques, ce sont des identités religieuses qui ont servi de repères dans un contexte de fragmentation politique et de propagande, jusqu’à justifier l’injustifiable.
Si certains ont parlé de « guerres de religion », les chercheurs insistent sur la dimension politique et ethnique des conflits, où les Églises et institutions religieuses ont parfois été instrumentalisées, parfois silencieuses, parfois actrices.
Le politologue Samuel Huntington y a vu une illustration de sa thèse du « choc des civilisations », renforçant l’idée d’un affrontement inévitable entre blocs culturels. Pourtant, sur le terrain, les réalités sont plus nuancées.
Mais il y a toujours eu des gestes de paix au cœur des plaies
C’est précisément dans cette région que le pape François a choisi de poser plusieurs gestes forts. À Sarajevo, en 2015, il a appelé au dialogue entre chrétiens et musulmans dans une ville encore marquée par le siège le plus long de l’histoire contemporaine. À Lesbos, en 2016 puis en 2021, il a prié avec les exilés, rappelant la dignité de chaque être humain, au-delà des frontières et des croyances. En Macédoine du Nord et en Bulgarie, il a engagé le dialogue avec les communautés orthodoxes pour retisser une confiance difficile. Ces visites, à la fois symboliques et porteuses d’espoir, témoignent d’une volonté claire : faire de la religion un pont de fraternité plutôt qu’un mur de séparation.

Finalement reconstruire le lien, pierre après l’autre était possible
Dans une région les hommes et des femmes se lèvent chaque jour pour recoudre le tissu fragile de la coexistence. En Bosnie-Herzégovine, malgré les divisions persistantes dans les systèmes scolaires, parfois encore organisés selon l’appartenance ethnique, certaines écoles dites « intégrées » lancent la voie de la paix, elles accueillent des enfants bosniaques, croates et serbes, de confessions musulmane, catholique ou orthodoxe, dans une même classe, sous un même toit. L’association « Mostovi » ou « les ponts » s’engage aussi dans cette dynamique en organisant des ateliers artistiques et des camps d’été interconfessionnels, convaincue que la jeunesse peut apprendre à vivre ensemble autrement que dans la méfiance ou l’ignorance de l’autre.
À Srebrenica, là où le massacre de 1995 reste une plaie ouverte dans la mémoire collective, des femmes musulmanes, mères de disparus, se réunissent avec des femmes serbes dans des cercles de parole. Ces rencontres, soutenues par le Centre pour la Paix et la Réconciliation, sont souvent silencieuses, parfois tendues, mais elles existent. Elles permettent de rompre l’isolement, d’exprimer la douleur, et d’avancer, pas à pas, vers une reconnaissance. C’est un travail de mémoire partagée. Parce que sans justice ni vérité, il ne peut y avoir de véritable paix.
Au Kosovo, autre foyer de tensions interethniques, des initiatives interreligieuses se multiplient dans les campagnes. Le programme Dialogue Kosovo réunit régulièrement des représentants musulmans, orthodoxes et catholiques autour de projets concrets, comme aide alimentaire, rénovation d’écoles, soutien aux jeunes déscolarisés. Ce travail discret, loin des caméras, montre que les religions peuvent être forces d’union quand elles agissent ensemble pour le bien commun.
En Macédoine du Nord, un pays aux équilibres communautaires délicats, le Conseil interreligieux œuvre à prévenir les discours de haine et à encourager le dialogue. Il rassemble régulièrement imams, évêques et prêtres autour de conférences, d’interventions dans les écoles ou d’initiatives sociales communes. Ces efforts modestes n’effacent pas les tensions, mais ils créent des espaces d’écoute, de respect, et parfois même d’amitié entre des personnes que tout semblait séparer.
Cette région d’Europe souvent évoquée comme un carrefour de violences, des voix s’élèvent pour construire la paix autrement. Pas à pas, pierre après pierre, des liens se retissent, fragiles mais réels. Ces gestes, parfois invisibles, parfois héroïques, rappellent qu’aucune réconciliation n’est impossible dès lors qu’elle est portée par la sincérité, la mémoire et la volonté de vivre ensemble.
Vivre-ensemble au Balkan est une réalité
Le silence reste parfois plus épais que les discours. Pourtant, dans les Balkans, la mémoire cohabite avec la volonté de vivre autrement. Le dialogue interreligieux n’efface pas les crimes, mais il dessine un avenir. C’est dans cet esprit que s’est tenu, en juin dernier, à Koper en Slovénie, le deuxième Forum de la paix dans les Balkans, à l’initiative de la Conférence des évêques slovènes. L’événement a réuni des responsables religieux venus de 15 pays, déterminés à faire du dialogue interreligieux un pilier de la paix durable dans la région.
La présidente slovène, Natasa Pirc Musar, a salué le rôle important des leaders spirituels pour dépasser les blessures du passé et relever les défis du présent. Aux côtés de représentants catholiques, orthodoxes et musulmans, les délégués du Kosovo ont rappelé l’engagement des communautés religieuses à bâtir, ensemble, un avenir fondé sur les valeurs humaines communes.
*Article paru dans le n°74 de notre magazine Iqra.
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