top of page

Regard fraternel (n°69) - France-Algérie : au coeur de l'été, l’appel commun du recteur et de l’archevêque d’Alger


ree

Dans un contexte de tensions croissantes entre la France et l’Algérie, l’appel conjoint de Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, et de Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger, publié dans Le Monde 24 aout dernier, constitue un geste d’une portée exceptionnelle. Il dépasse largement le cadre religieux pour devenir un acte de diplomatie morale, de leadership culturel et un symbole de fraternité incarnée, capable d’inspirer les sociétés et les décideurs politiques des deux pays.


Contexte politique et diplomatique


Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, les relations franco-algériennes ont été façonnées par une histoire complexe qui varie entre colonisation, guerre de libération, flux migratoires, mémoires partagées et blessures politiques. Les débats sur l’histoire coloniale et la guerre d’Algérie continuent d’influencer la politique et l’opinion publique. Dans ce contexte, toute déclaration publique ou prise de position officielle peut raviver des tensions.


L’appel de Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris et du cardinal d’Alger Jean-Paul Vesco, s’inscrit comme une réponse morale et civique à cette crise, en plaçant l’accent sur la fraternité et le dialogue plutôt que sur les divergences politiques.


« Face à la grave crise qui obscurcit aujourd’hui les relations entre la France et l’Algérie, nous, recteur de la Grande Mosquée de Paris et archevêque d’Alger, ressentons le besoin de dire haut et fort, en notre nom propre et dans l’humilité de nos responsabilités, ce qui nous unit : nous sommes des frères. »


Cette déclaration va au-delà des mots, elle est une tentative de créer un espace de dialogue éthique, une diplomatie des consciences, où la morale et la culture précèdent la politique.


Une fraternité interreligieuse concrète et incarnée


Ce qui distingue cet appel, c’est sa dimension interconfessionnelle réellement vécue. Hafiz et Vesco ne se contentent pas de prôner la tolérance, ils incarnent la fraternité par leurs parcours personnels et leurs engagements dans leurs sociétés respectives.


  • Chems-eddine Hafiz, représente la communauté musulmane en France, un pays laïc où il exerce pleinement sa citoyenneté et ses responsabilités religieuses et sociales.


  • Jean-Paul Vesco, représente le catholicisme en Algérie, un pays musulman où il est pleinement engagé dans la vie religieuse et citoyenne.


Cette configuration crée une symétrie remarquable où chacun est profondément intégré dans sa société, tout en portant une identité qui relie deux histoires et deux cultures. La fraternité qu’ils proclament n’est donc pas théorique, elle est incarnée, tangible et crédible.


« Cette fraternité n’est pas une formule, mais une expérience. Elle naît de nos histoires personnelles et collectives, de nos appartenances religieuses et culturelles, de nos fidélités à deux peuples et à deux patries ».


Cette phrase résume la force de l’appel : la fraternité naît de l’histoire, de la mémoire, et d’un engagement vécu dans la société. Elle est à la fois symbolique et concrète, offrant un modèle applicable à l’ensemble de la société.


Une portée culturelle et historique


L’appel met en lumière la richesse des échanges culturels franco-algériens et leur interdépendance. La double fidélité évoquée par les signataires souligne que l’identité peut être multiple et complémentaire, sans contradiction, ce qui veut dire qu’on peut être pleinement citoyen d’un pays tout en conservant un lien profond avec une autre culture ou histoire.


Historiquement, cette idée trouve un écho dans plusieurs figures et mouvements interreligieux par exemple :


  • Dans les années 1960-70, certains intellectuels et religieux ont cherché à construire un dialogue franco-algérien à travers la culture, l’éducation et la religion, malgré les tensions postindépendance.


  • Des communautés religieuses mixtes ont favorisé la coexistence pacifique, l’enseignement mutuel et la coopération sociale, montrant que la fraternité interconfessionnelle n’est pas abstraite mais réalisable.


Hafiz et Vesco prolongent cette tradition, en donnant un exemple vivant de coopération interculturelle et interreligieuse, fondée sur l’expérience et la mémoire partagée.


La symétrie identitaire : un symbole providentiel


L’un des aspects les plus frappants de cet appel est la réciprocité quasi providentielle des identités des deux signataires :


  • Hafiz, français musulman d’origine algérienne, exerce pleinement sa mission en France.


  • Vesco, Algérien catholique d’origine française, exerce pleinement sa mission en Algérie.


Cette symétrie n’est pas un hasard, elle renforce la puissance symbolique de leur message. La fraternité proclamée est vivante et incarnée, car chaque leader relie par son parcours deux cultures et deux histoires. Ce croisement d’identités rend leur dialogue authentique et exemplaire, un modèle de coexistence pacifique et constructive.


La fraternité comme responsabilité collective


L’un des aspects les plus puissants de l’appel est son appel à la responsabilité collective : la fraternité ne se limite pas aux leaders religieux, mais implique tous les acteurs sociaux, citoyens et institutions.


En affirmant que la fraternité est une expérience et non une formule, les signataires indiquent que le dialogue et la coopération doivent être vécus au quotidien, dans les interactions humaines et les engagements civiques. Ils proposent ainsi un modèle de diplomatie citoyenne et interculturelle, où la morale et la culture complètent et renforcent la diplomatie officielle.


Une vision d’avenir : la coopération au-delà des frontières


L’appel du recteur et du cardinal offre une vision d’avenir exceptionnelle : il montre que, malgré les tensions historiques et  politiques,  la coopération interculturelle et interreligieuse est possible et souhaitable.


La symétrie de leurs identités, leur engagement dans la plénitude de leur citoyenneté et leur dialogue incarné démontrent que :


  • La fraternité est une force concrète pour surmonter les divisions historiques.


  • La religion peut être un pont et non un obstacle à la réconciliation.


  • La mémoire partagée et l’histoire commune peuvent devenir des fondations pour un avenir commun.


Cet appel devient ainsi un modèle de diplomatie morale et culturelle, applicable à d’autres contextes où les identités, l’histoire et la religion pourraient être sources de conflit. Il montre que la fraternité vécue peut dessiner un avenir solide, comme l’affirment les signataires.


Cet appel reste un exemple de leadership moral, culturel et religieux, combinant diplomatie, symbolisme et expérience concrète. La symétrie de leurs identités, la force de leur message interconfessionnel et la profondeur historique de leur engagement en font un acte exceptionnel, à la fois inspirant et mobilisateur pour les sociétés française et algérienne.


Dans un contexte de tensions persistantes, cet appel montre que le dialogue, la citoyenneté partagée et la fraternité interreligieuse peuvent dépasser les frontières et les mémoires douloureuses, offrant un modèle à la fois humain, moral et politique.


ree


*Article paru dans le n°76 de notre magazine Iqra.




À LIRE AUSSI :

Commentaires


bottom of page