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Regard fraternel (n°75) - En quête de l’ADN d’une humanité consciente

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Par Nassera Benamra

Dans le grand globe humain fragmenté où les inégalités s’étendent plus vite que les solidarités, il est urgent de revenir aux fondements qui donnent sens à la vie collective. La justice et la fraternité ne sont pas des valeurs d’hier ou de simples idéaux abstraits, mais elles constituent l’ADN politique, social, philosophique et spirituel de l’humanité. L’une organise la société, l’autre l’humanise. Ensemble, elles forgent le socle sur lequel repose toute communauté digne de ce nom.


La justice comme premier pilier du lien social


Sans justice, la société se délite. Elle n’est pas qu’un principe juridique, mais une exigence de vérité et d’équilibre. Elle rétablit la mesure, rend à chacun son droit et empêche la domination des forts sur les faibles. Dans toutes les civilisations, gouverner, c’est d’abord instaurer la justice. En islam, elle prend racine au cœur de la foi : « Allah ordonne la justice, la bienfaisance et l’assistance aux proches… » (Sourate Al-Nahl, verset 90).


Cette injonction s’inscrit dans la continuité de l’héritage abrahamique. Dans la Torah et le Talmud, la justice du Créateur se reflète chez les hommes : « Ne commettez pas d’injustice dans vos jugements : balance juste, poids juste et mesure juste. » Dans le christianisme, elle s’exprime par l’amour agissant : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés ». Jésus relève les humiliés et rend justice aux pauvres.


Le Coran universalisera ce principe pour que tous les humains soient créés d’une même âme, ont droit à une égale dignité. La justice n’est pas seulement morale, elle est la clé de voûte de la civilisation, régulant la relation à soi, à Dieu et aux autres. Elle s’épanouit dans la bienveillance fraternelle, associée à la piété et à l’Ihsan (la bienfaisance).


La justice devient le pilier du lien social, préservant l’équilibre entre liberté et responsabilité, entre le moi et le nous. De la Torah au Code d’Hammourabi, des Évangiles aux Déclarations des droits de l’homme, elle demeure le premier devoir du pouvoir et le dernier recours des peuples.


La fraternité comme l’âme de la justice


Une société ne peut vivre de règles seulement. La fraternité lui donne souffle, chaleur et profondeur. Elle transforme la coexistence en communauté humaine. Être fraternel, c’est dépasser la logique du droit pour entrer dans celle du lien. Le Prophète (paix sur lui) résumait cette exigence par une parole d’une actualité brûlante : « Aucun de vous ne sera véritablement croyant tant qu’il n’aimera pas pour son frère ce qu’il aime pour lui-même. » Cette fraternité dépasse les appartenances et les frontières. Elle rejoint les appels d’autres traditions : « Aime ton prochain comme toi-même » (Évangile selon Matthieu 22,39).


Du christianisme au judaïsme, du bouddhisme à l’humanisme laïque, la fraternité est la traduction affective de la justice. Elle engage la conscience plus que la loi, et la compassion plus que la sanction.


Les deux sont une boussole pour notre temps


Dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la justice et la fraternité apparaissent comme des valeurs politiques fondatrices. Mais dans les faits, elles sont souvent séparées. La justice se fait institution, la fraternité se réduit à l’émotion. Or, l’une sans l’autre ne tient pas.Une justice sans fraternité devient sèche et punitive. Une fraternité sans justice devient naïve ou sélective.


L’histoire l’a montré, les grandes révolutions, les mouvements d’indépendance, les luttes pour les droits civiques ou l’émancipation des peuples, tous ont cherché à réconcilier l’équité et la solidarité.

Aujourd’hui, face aux crispations identitaires, à la tentation du repli sur soi et aux fractures sociales, fraternité et justice forment une boussole morale et civique. Elles rappellent que la dignité humaine n’est pas négociable et que la paix ne se décrète pas, elle se construit par la reconnaissance.


Dans l’esprit de l’islam comme dans les grandes sagesses du monde, l’homme n’est pas un individu isolé, mais un être relié. Le Coran le dit avec puissance : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d'entre vous, auprès d'Allah, est le plus pieux. Allah est certes Omniscient et Grand Connaisseur. » (Sourate El-Houjourat, verset 13)


La justice construit les institutions, la fraternité bâtit les cœurs. L’une trace la loi, l’autre inspire la vie. Ensemble, elles composent le double souffle d’une civilisation du lien, où le droit protège et où la solidarité élève. Réconcilier la justice et la fraternité, c’est redonner à la politique sa dimension morale, à la société sa dimension humaine, et à la foi sa dimension universelle. C’est, peut-être, le défi le plus urgent de notre siècle.



*Article à paraître dans le n°81 de notre magazine Iqra.




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