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Focus sur une actualité (n°80) - 18 décembre : comment les Nations unies ont donné une date à une réalité plus ancienne qu’elles

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Par Noa Ory

La Journée internationale des migrants n’est pas née d’une émotion soudaine, ni d’une crise médiatique. Elle est le produit lent, presque laborieux, d’un embarras politique mondial : comment parler des migrants sans parler des frontières, des peurs, des renoncements et des contradictions des États ?


Pour comprendre l’origine du 18 décembre, il faut remonter à la fin de la guerre froide, à ce moment particulier où l’on croyait encore que le droit international pouvait précéder les rapports de force. En 1990, le monde changeait de visage : les murs tombaient en Europe, les flux humains s’intensifiaient, les migrations de travail devenaient structurelles, et non plus conjoncturelles. C’est dans ce contexte que l’Assemblée générale des Nations unies adopta, le 18 décembre 1990, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.


Ce texte était ambitieux. Il affirmait un principe simple et profondément dérangeant : un travailleur migrant reste un sujet de droits, même lorsqu’il traverse une frontière, même lorsqu’il est en situation irrégulière. Autrement dit, la dignité humaine ne s’arrête pas au poste-frontière. Cette idée, pourtant élémentaire, s’est révélée politiquement explosive.


Car très vite, un fait s’imposa : les États qui accueillaient le plus de migrants refusèrent de ratifier la Convention. Les pays d’origine, eux, y virent une protection nécessaire pour leurs ressortissants. Le droit international se retrouva ainsi pris au piège de la géographie politique : un texte universel soutenu principalement par ceux qui n’en contrôlaient pas l’application.


Pendant dix ans, cette Convention resta largement ignorée du grand public, connue surtout des juristes, des ONG et de quelques diplomates obstinés. C’est pour lui donner une existence politique et symbolique que l’ONU décida, en décembre 2000, de créer une Journée internationale des migrants, fixée précisément au 18 décembre, en mémoire de l’adoption de la Convention de 1990.

Il ne s’agissait pas de célébrer la migration, mais de rappeler une promesse non tenue.


Depuis lors, cette journée se tient chaque année dans un étrange clair-obscur. Les chiffres sont connus : aujourd’hui, plus de 280 millions de personnes vivent hors de leur pays de naissance. Elles travaillent, soignent, bâtissent, enseignent. Elles envoient des milliards de dollars à leurs familles. Elles soutiennent des économies entières. Et pourtant, elles demeurent souvent politiquement invisibles, juridiquement fragiles, symboliquement suspectes.


La Journée internationale des migrants n’a donc rien d’un rituel consensuel. Elle met en lumière un malaise profond : nous dépendons des migrants tout en refusant de les reconnaître pleinement. Nous invoquons leurs contributions économiques, mais redoutons leur présence politique. Nous parlons d’intégration, tout en organisant la précarité administrative. Nous défendons les droits humains, mais à condition qu’ils ne perturbent pas trop l’ordre des nations.


Dans l’esprit des Nations unies, cette journée devait servir à trois choses très concrètes : rappeler l’existence de la Convention de 1990, lutter contre les discours de stigmatisation, et promouvoir des politiques migratoires respectueuses des droits fondamentaux. Dans les faits, elle agit surtout comme un miroir : elle reflète ce que chaque société est prête ou non à accepter de l’autre.


Jean Daniel écrivait souvent que les grandes causes universelles échouent moins par manque de principes que par excès de prudence politique. La Journée internationale des migrants illustre parfaitement ce paradoxe. Elle existe. Elle est officielle. Elle est fondée sur un texte juridique clair. Mais elle révèle, année après année, l’écart persistant entre ce que le monde proclame et ce qu’il pratique.


Le 18 décembre n’est donc pas une date commode. C’est une date inconfortable. Elle nous rappelle que la migration n’est pas une crise passagère, mais une condition humaine durable et que la manière dont nous traitons les migrants dit toujours quelque chose de plus large sur l’état de nos démocraties.



*Article à paraître dans le n°90 de notre magazine Iqra.



 

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