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Regard fraternel (n°79) - Les musulmans en métropole de 1914 à ce jour : un siècle de présence, de méfiance et d’espérance


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Par Nassera Benamra

L’islam et les musulmans font partie de la France depuis un siècle, et leur présence est née, en grande partie, avec la Grande Guerre, quand nombre d’entre eux ont combattu aux côtés des Français, certains y laissant même leur vie. Plus tard, il y a eu le travail, les journées difficiles, la vie quotidienne… et peu à peu, la citoyenneté. Cette histoire se raconte entre des regards qui se croisent, du respect, mais aussi dans l’incompréhension. Depuis 1914, la France et l’islam ont appris à se rapprocher, parfois heurtés par des crises et des liens humains fragiles, tout en gardant un espoir qui permet de continuer à construire ensemble une France forte, diverse et vivante.


1914-1950 : entre reconnaissance et négligence

 

Pendant la Première Guerre mondiale, beaucoup d’hommes venus d’Afrique du Nord, d’Afrique noire et du Levant ont combattu pour la France. On parle souvent de 500 000 soldats environ. Ils ont tout quitté, leur famille, leur terre, pour venir sur un front qu’ils ne connaissaient pas. L’armée a essayé de respecter leur religion, au moins un peu : on leur préparait de la nourriture halal, ils pouvaient prier, faire leurs ablutions. Même leurs tombes suivaient les rites musulmans. L’artiste Étienne Dinet a aidé à créer ces stèles si particulières, reconnaissables entre mille. À l’hôpital, certains se rappellent la présence d’imams, venus prier avec les blessés ou juste leur tenir la main.


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Pour autant, cette reconnaissance est incomplète. Derrière les louanges officielles qui parlent du « brave tirailleur », la vie quotidienne des soldats est souvent marquée par la séparation dans les cantonnements, les regards pleins de préjugés et des salaires qui ne sont pas équitables. Entre les deux guerres, l’inauguration de la Mosquée de Paris en 1926 honore les soldats musulmans tout en répondant à des intérêts diplomatiques. Pourtant, beaucoup continuent d’être perçus comme des « étrangers de passage ». Entre 1939 et 1950, soldats et résistants musulmans jouent un rôle actif dans la Libération, mais les inégalités persistent. Les événements de Sétif, Guelma et Kherrata rappellent brutalement les limites de cette fraternité coloniale.


1950–1980 : de l’oubli à la conscience identitaire

 

Durant cette période, la France connaît une importante immigration venue du Maghreb. Après la guerre, le pays a besoin de bras pour se reconstruire, et des milliers d’hommes quittent l’Algérie surtout, le Maroc et la Tunisie pour travailler dans les usines, les chantiers ou les exploitations agricoles. La plupart de ces hommes arrivent seuls, souvent logés dans des foyers modestes, comme ceux de la Sonacotra créés à partir de 1956. Officiellement, ces hébergements devaient offrir de meilleures conditions de vie, mais ils servaient aussi à garder un œil sur une population jugée fragile et même parfois suspecte, pendant la guerre d’Algérie.

 

Dans ce climat de méfiance, la religion reste présente, mais discrète. Les travailleurs prient entre eux, dans une chambre ou dans une petite pièce aménagée, loin des regards. L’islam est vécu simplement, comme un repère intime et une façon de rester lié au pays, à la famille, à la communauté d’origine. À cette époque, il n’existe encore aucune vraie reconnaissance officielle, et l’islam reste souvent associé à la figure de l’immigré.


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Puis, dans les années 1970, tout bascule un peu. La guerre d’Algérie est finie, les familles rejoignent peu à peu les travailleurs venus seuls. Le regroupement familial change tout : ce n’est plus seulement une immigration de travail, mais une vraie installation, durable, avec des enfants, une vie qui s’ancre ici. Les épouses et les enfants rejoignent les travailleurs, et de nouvelles générations naissent en France. Ces familles s’organisent, créent des associations et ouvrent les premiers lieux de prière.

 

Peu à peu, les enfants d’immigrés affirment une identité double, à la fois française et musulmane. Pour ceux qui sont nés et ont grandi ici, la religion ne se vit plus tout à fait comme pour leurs parents. Elle n’est plus seulement un lien avec le pays d’origine. Pour beaucoup, elle fait peu à peu partie de leur quotidien, de ce qu’ils sont.


Est-ce la faute des mamans, qui ont transmis la foi musulmane à leurs enfants, presque sans s’en rendre compte ? Peut-être. Cette foi, discrète autrefois, commence à se faufiler hors des murs des maisons, avec l’odeur du couscous. Après des années de silence et de retenue, vécues aux côtés des papas musulmans, la voilà qui se montre un peu plus. Cette nouvelle génération essaie simplement de garder le fil, de ne pas perdre ce que leurs parents leur ont laissé, tout en cherchant sa place dans la vie d’ici en France.


1980–2025 : L’islam s’invite dans l’espace public

 

À partir des années 1980, avec la montée des débats sur la laïcité, le voile et l’identité, l’islam cesse d’être une réalité silencieuse, il devient un sujet public et politique qui alimente la ségrégation, la division.

 

Tout commence avec l’affaire du foulard à Creil, en 1989. D’un coup, la religion entre dans les débats. Certains parlent d’intégration, d’autres de laïcité, souvent sans écouter les concernés. L’État crée le CFCM pour avoir une référence, mais la méfiance persiste. L’islam et les musulmans posent problème, c’est un constat, même si c’est triste à dire. Après les attentats de 2001, puis ceux de 2015, la peur s’est installée, et avec elle la méfiance. On sent que beaucoup regardent les musulmans différemment, comme s’ils devaient sans cesse se justifier.

 

Aujourd’hui, les choses bougent. On parle beaucoup de l’islam, parfois trop, dans les médias comme en politique. Chez les politiques un nouveau concept apparait « l’islam de France », le musulman doit justifier qu'il est un bon citoyen malgré sa religion. Dans la vie de tous les jours, des jeunes, des artistes, des associations… tous essayent juste d’apaiser les tensions, de rappeler le vivre ensemble, rappeler l’histoire commune. Ce n’est pas toujours simple, il y a encore des incompréhensions, mais ça avance un peu. Peut-être qu’un jour, on arrêtera d’en faire un sujet de débat, et on verra simplement l’islam comme une partie normale de la vie française, tout bêtement.


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De 1914 à ce jour, la France a cheminé entre oubli, peur et reconnaissance. Les musulmans, d’abord soldats, puis ouvriers, puis citoyens, ont accompagné son histoire.Le regard fraternel, c’est peut-être cela, reconnaître que l’islam, loin d’être un corps étranger, est désormais une part vivante de la mémoire et de l’avenir français. Le musulman, n’a pas besoin de prouver sa citoyenneté, il est FRANÇAIS.

 


*Article à paraître dans le n°85 de notre magazine Iqra.




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