Lumière et lieux saints de l'Islam, à la découverte des mosquées du monde (n°80) - La mosquée centrale de Cambridge
- Guillaume Sauloup
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La Forêt de Lumière :
quand Cambridge érige une mosquée pour la Terre et le Ciel

Par Noa Ory
À l’extrémité de Mill Road, à Cambridge, une mosquée se dresse comme une clairière de lumière dans la ville. La « Cambridge Central Mosque », première mosquée construite spécialement pour la cité universitaire, accueille jusqu’à mille fidèles dans un bâtiment que ses concepteurs décrivent comme la première « éco-mosquée » d’Europe, avec une empreinte carbone presque nulle.
Une voûte d’arbres en bois sacralisé
Au cœur de l’édifice, l’œil est saisi par une forêt intérieure : des colonnes en bois, les « trees », se déploient en éventail et s’entrelacent pour former une voûte en treillis octogonal évoquant les fan-vaults gothiques de King’s College Chapel, transposés dans une grammaire islamique.
Ces colonnes sont en épicéa durable, cintré et lamellé-collé, soigneusement courbé puis assemblé pour constituer la charpente. Au sommet de chaque « arbre », des lanternons vitrés percent le toit : des puits de lumière qui baignent la salle de prière d’un jour naturel variable, adouci, de sorte que, et le plus souvent, aucun éclairage artificiel n’est nécessaire en journée.

Le geste est double : structurel et spirituel. Cette forêt de bois clair figure le jardin de Paradis (Jannat el-Firdaws) dans l’espace bâti, et rappelle en même temps la vocation écologique du lieu : honorer les formes naturelles par une charpente en bois durable plutôt qu’un squelette de béton anonyme.
Une façade entre Cambridge et l’Orient
À l’extérieur, la mosquée tresse le local et le lointain. Les murs sont revêtus d’un parement de briques de teinte « Gault », écho direct à la brique claire de Cambridge, mis en œuvre ici sous forme de briques-plaquettes Corium. Dans ce canevas, les architectes ont incrusté des motifs géométriques et des inscriptions en coufique stylisé, où se lit notamment l’affirmation de l’unicité divine « Un seul Dieu ».

La façade, trois niveaux de haut, reste modeste dans le Skyline du quartier, mais une corniche crénelée suggère symboliquement la rencontre du ciel et de la terre.
Le jardin comme seuil de Paradis
Avant d’atteindre la salle de prière, le visiteur traverse un jardin islamique conçu par Emma Clark et Urquhart & Hunt : un rectangle clos de haies, centré sur une fontaine octogonale, organisé selon un plan de Chahâr-Bâgh, le jardin en quatre quartiers qui renvoie aux quatre jardins du Paradis mentionnés dans le Coran.
Ce jardin articule une palette végétale britannique (if, rosiers, vivaces adaptées au climat) avec les principes formels de l’héritage islamique : l’eau, l’ombre, la géométrie. Il fonctionne comme un sas : on quitte le tumulte de la rue pour entrer dans un espace de lenteur, puis sous le grand portique, puis dans l’atrium, et enfin dans la forêt de colonnes.

L’écologie comme discipline spirituelle
Sur le plan technique, la mosquée a été pensée comme un organisme économe plus que comme un simple objet efficient. Les ouvertures zénithales assurent un éclairage naturel abondant, complété par des ampoules LED basse consommation pour les heures sombres.
Le bâtiment est très bien isolé et ventilé naturellement ; la grande salle de prière bénéficie d’une stratégie de ventilation mixte qui exploite le volume de la voûte en bois et les hauteurs libres, minimisant ainsi le recours à la climatisation mécanique.

Le chauffage et le rafraîchissement sont assurés par un système de plancher chauffant/rafraîchissant, alimenté par des pompes à chaleur à air, installées en toiture et reliées à des ballons tampons en sous-sol. Ces pompes à chaleur, très performantes, délivrent largement plus d’énergie thermique qu’elles n’en consomment en électricité, et permettent d’atteindre le confort sans gaz ni chaudière fossile.
Sur le toit, une installation photovoltaïque fournit une part de l’électricité du bâtiment, contribuant aux exigences locales en matière d’énergie renouvelable.
L’eau, ressource précieuse
Consciente que l’ablution est centrale dans la vie d’une mosquée mais lourde en consommation, la communauté a fait le choix d’un système de récupération des eaux de pluie et des eaux grises qui sert à alimenter les chasses d’eau et à irriguer les jardins. L’eau qui s’écoule de la toiture revient ainsi nourrir les bassins et la végétation, fermant la boucle dans un petit cycle domestique.

Pour l’eau potable et les usages d’ablution, le traitement est conçu de façon à limiter la température nécessaire tout en maîtrisant les risques sanitaires, ce qui réduit encore la dépense énergétique du système.
Une mosquée qui marche et qui pédale
Enfin, la mosquée inscrit sa démarche écologique dans les pratiques de déplacement : parking à vélos généreux, accessibilité piétonne privilégiée, et parking souterrain pour les voitures afin de libérer la surface au profit du jardin et des espaces de rencontre.
Ainsi, du détail de la brique jusqu’aux pompes à chaleur enterrées, tout concourt à faire de ce lieu un prototype de mosquée verte : un édifice où la prière se dit sous une voûte de bois, mais aussi dans la grammaire discrète des kilowattheures économisés, des litres d’eau réemployés et des plantes qui prospèrent à la lisière de la salle de prière.


*article paru dans le n°86 de notre magazine Iqra.
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