Regard fraternel (n°83) - Baya : l'autodidacte algérienne qui a inspiré Pablo Picasso
- Guillaume Sauloup
- il y a 8 heures
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« Je parle, non comme tant d’explorer une fin mais pour promouvoir un début et sur ce début Baya est reine (…). »
André Breton, Derrière le miroir, novembre 1947

Par Nassera Benamra
Vendredi 12 décembre, la salle Émir Abdelkader de la Grande Mosquée de Paris accueille une rencontre dédiée à Baya Mahieddine. Le public y redécouvre des peintures marquées par la spontanéité et un imaginaire très personnel. Née en Algérie, Baya a toujours peint au feeling, sans chercher à suivre des règles. Ses couleurs et ses personnages ont traversé les frontières et ont même inspiré Pablo Picasso, pour Femmes d’Alger. Aujourd’hui encore, son œuvre émeut et pose des questions. Cette soirée veut simplement rappeler qui elle était et pourquoi elle reste importante.
Baya est une femme qui a réussi à condenser la culture arabe dans les couleurs et les formes de ses tableaux féériques et flamboyants. Avec son surréalisme, elle est surnommée « le Picasso d’Algérie ». Jusqu'alors, Baya n’avait jamais entendu parler de lui ni eu la chance de voir ses œuvres.
De son vrai nom Fatma Haddad, épouse Mahieddine, Baya est née le 12 décembre 1931 à Bordj El Kiffan (anciennement Fort-de-l ’Eau), à l’est d’Alger. Très tôt, Baya commence à faire des modelages et dessine des motifs sur la terre, avant d’être encouragée à s’essayer à la gouache. Orpheline à cinq ans, elle est recueillie par sa grand-mère, qu’elle aide dans son travail à la ferme d’un colon. « Dans la cour de la ferme, quand elle avait un peu de temps, elle dessinait sur le sable et elle faisait des sculptures avec de la terre et de l’eau. Et au fil des semaines et des mois, Marguerite a fini par demander à la grand-mère de Baya si elle pouvait la prendre à son service à Alger », raconte Claude Lemand.
En 1943, Marguerite Camina, sœur de la propriétaire de la ferme et intellectuelle française, repère le potentiel artistique de la petite Baya. Elle l’encourage à exploiter son talent et devient plus tard sa mère adoptive. À 16 ans, le collectionneur et galeriste français Aimé Maeght la découvre et lui donne l’occasion d’exposer devant tout Paris. Les artistes de l’époque, tels qu’André Breton, Jean Dubuffet et Pablo Picasso, se trouvent face à des œuvres aux couleurs vives venant d’une « indigène, musulmane et analphabète » et sont immédiatement convaincus de son génie et de sa sensibilité artistique.

En 1947, Aimé Maeght et André Breton mettent en lumière les œuvres non académiques produites par Baya à travers une exposition internationale qui connue un succès. Sa palette lumineuse et son monde surréaliste charment l’élite artistique parisienne, en particulier Pablo Picasso et Henri Matisse. Ils collaborent avec elle dans le mythique studio de poterie Madoura à Vallauris.
Sa modestie, sa sagesse, son talent et sa simplicité ont inspiré Picasso, qui en 1955 peint « Les Femmes d’Alger ». Baya a réussi à acquérir une notoriété internationale grâce à son art unique.
Dans son livre Baya ou le Grand vernissage, Alice Kaplan évoque la présence de Si Kaddour Benghabrit au vernissage de Baya à Paris. Selon Kaplan « son rôle, comme celui d’autres responsables politiques et institutionnels, marque une dimension à la fois symbolique et politique de l’évènement. Cette exposition n’avait pas seulement un caractère artistique, mais revêtait aussi une portée politique. L’artiste algérienne, jeune et « indigène », exposée dans la capitale française, incarnait à la fois un message culturel et un geste de rapprochement franco-musulman ».
Baya se distingue par sa féerie peuplée d’oiseaux de paradis, d’instruments de musique et de personnages féminins aux toilettes somptueuses et colorées. Avec une inspiration naïve, ses œuvres sont exposées dans plusieurs galeries et musées, des Beaux-Arts d’Alger au Fonds national d’art contemporain, en passant par le musée de l’art brut de Lausanne.
L’artiste disait : « Quand je peins, je suis dans un autre monde, j’oublie. Ma peinture est le reflet non du monde extérieur mais de mon monde à moi, celui de l’intérieur ». À travers ses œuvres, elle nous introduit dans un univers chatoyant de couleurs et d’émotions, clos de rêves et de magie. Baya continue d’être présente grâce à ses créations résistantes à toutes les étiquettes et à toutes les tendances.

Ses tableaux ont été exposées à l’Institut du monde arabe, qui a intitulé l’exposition : « Baya, femme en leur jardin » du 8 novembre 2022 au 26 mars 2023. Cette exposition prouvait que sa frénésie de création ne s’arrête pas, même après son décès le 9 décembre 1998 à Blida.
Comme l’a dit André Breton, « le début d’un âge d’émancipation et de concorde, en rupture radicale avec les précédents et dont un des principaux leviers soit pour l’homme l’imprégnation systématique, toujours plus grande, de la nature (…) la fusée qui l’annonce, je propose de l’appeler Baya ».
*Article paru dans le n°89 de notre magazine Iqra.
Exposition - "Et tout devient couleur" : les natures mortes de Baya Mahieddine
Du samedi 13 décembre 2025 au lundi 12 janvier 2026
tous les jours sauf les vendredis (9h-18h)
à la Grande Mosquée de Paris,
Salle Émir Abdelkader,
Place du Puits de l'Ermite 75005 Paris
entrée comprise dans le parcours de visite

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