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Regard fraternel (n°85) - L’influence pacifique de la langue arabe sur le français

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Par Nassera Benamra

L’Académie française introduit, chaque année, de nouveaux mots dans le dictionnaire, dont certains nous viennent de la langue arabe. Cet ajout est certainement bien étudié, il témoigne les échanges pacifiques entre les populations, les génération et les langues. Le français porte en lui seul une histoire chargée de symboles et de signes et évolutions culturels.


Environ 15% des mots français sont d’origine étrangère. Entre des mots anglais du fait de l’internationalisation de la langue anglaise, tels que : week-end, web, business, cool, leader, okay, … La deuxième influence est italienne depuis le rayonnement de la Renaissance italienne, on a : cappella, opéra, tempo, cantatrice, roccocco. Et plus de 300 mots sont d’origine arabe, dont plusieurs proviennent des dialectes maghrébins, dits « darija », qui devient la troisième langue de laquelle le français emprunte des mots, après l'anglais et l'italien, selon un éminent lexicographe français.


Or, Jean Prévot, dans cet ouvrage « Nos ancêtres arabes... Ce que notre langue leur doit », décompose environ 400 mots couramment utilisés dans divers domaines de la vie publique (arts, cuisine, musique, agriculture, etc.) et prouve leur origine arabe. Roland Laffitte estime « qu’environ 400 à 800 mots couramment utilisés en français portent la marque de la langue arabe ».


Au petit déjeuner, je prends une tasse de café avec zéro sucre, un jus d’orange.


Si nous observons cette phrase, nous constatons qu’elle contient cinq mots aux origines arabe: tasse=tassa ; café=kahvé=cahwa=caffé ; zéro=sifr ; sucre=sukkar=zucchéro ; orange=naranj.


Le livre Nos ancêtres arabes... Ce que notre langue leur doit de Jean Prévost, universitaire, linguiste et lexicographe français, traite de l'influence de la langue arabe sur la langue de Molière et, à travers une analyse de centaines de mots français d'origine arabe, tels que coton, chimie, pantalon, kebab, jupe et épinards, Prévost affirme : « Nos ancêtres gaulois étaient des barbares, et sans les Romains et la civilisation arabe qui ont nourri le récit du Moyen Âge, la Renaissance aurait été retardée».


Certaines sources renvoient cette influence aux traductions fondatrices des textes mathématiques et philosophiques arabes qui ont inspiré les penseurs français aux traductions ultérieures de la poésie arabe qui ont inspiré de grands poètes, l'influence culturelle et linguistique arabe sur le français a toujours été un sujet passionnant. Selon les linguistes, l'arabe enrichit la langue française depuis le IXe siècle jusqu'à nos jours.


D’autres nous renvoient aux croisades, à une époque où la civilisation arabe était en pleine émergence et découverte, sans oublier la conquête arabe de l’Espagne. Cette période a fortement influencé l’Occident et a introduit des mots qui existent encore aujourd’hui.


Sur l’autre rive de la Méditerranée, s’est ouverte la voie du commerce maritime, longtemps dominée par la flotte arabe. Les produits affluaient avec leurs appellations, dont certaines sont passées par l’italien et l’espagnol avant d’arriver dans la langue française.


Les mots arabes ont ensuite trouvé leur chemin pour enrichir le vocabulaire français, sans l’envahir ni l’agresser. Une voie notamment littéraire, au XIXᵉ siècle. Des auteurs ont voyagé vers l’Orient et ont rapporté dans leur bagage intellectuel, et dans leurs écrits, des mots venus d’ailleurs. C’est le cas de Lamartine, mais aussi de Victor Hugo, lorsqu’il publie le poème « Les Djinns » dans Les Orientales en 1829.


Le dialecte algérien a eu sa part lui aussi. Les 130 ans de colonisation ont laissé des traces, le temps a fait entrer des termes comme bled, gourbi, toubib, kif-kif, nouba qui signifie « mon tour » dans certaines régions, puis le mot a désigné un morceau musical joué par les tirailleurs venus d’Algérie.


Attends un petit chouiya, j’arrive, wallah, on règle ça kif-kif après.


Les mouvements migratoires et le rapprochement des deux rives ont continué d’enrichir le dictionnaire français, sans même parler du jargon employé par les jeunes générations, Wesh, frère, wallah, merguez…


La langue arabe a, en fin de compte, réussi là où la diplomatie et la politique ont souvent échoué. Elle est entrée en douceur, sans rapport de force, sans frontières à défendre ni intérêts à imposer. Les mots ne négocient pas, ne signent pas d’accords et ne provoquent pas de crises, ils circulent librement, portés par les échanges, les voyages, le commerce, la littérature et les relations humaines.


Là où la politique divise et où la diplomatie se heurte aux intérêts, le français accueille l’arabe à bras ouverts. Absorbant, adaptant, transformant, sans effacer ce qui existe déjà.


Les mots venus d’Orient et du Maghreb se glissent dans la structure de la langue française, prennent leur place naturellement, parfois sans que l’on s’en rende compte. Ils cessent même d’être perçus comme étrangers.


Cette intégration s’est faite sans violence ni agression, sans volonté de domination. Elle s’est construite dans le temps, par l’usage, par la nécessité de nommer le monde, les objets, les idées nouvelles. La langue devient alors un espace de rencontre silencieux, plus durable que bien des discours officiels.


Finalement, elle témoigne d’une histoire partagée, faite de tensions certes, mais aussi de croisements, d’influences et d’enrichissements réciproques. Une mémoire vivante, inscrite non pas dans les traités, mais dans les mots que l’on prononce chaque jour, souvent sans nous douter qu’ils allaient prendre place dans notre langage de tous les jours.



*Article paru dans le n°91 de notre magazine Iqra.




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